Exubérants, excessifs, surprenants, généreux, joueurs, créatifs et candides, les Brésiliens se montrent à la hauteur de leur réputation. Mais après leur match nul contre le Mexique, la pression monte.
17 juin, 10 h 30. Ipanema, Rio
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Comme avec une amoureuse à qui on s’interdit de parler après une dispute alors qu’on rêve secrètement de la prendre à nouveau dans ses bras, le peuple brésilien ne sait plus trop sur quel pied danser avec sa Seleção. les images des Argentins roulant galoche sur galoche à leur « Albiceleste » sur les bancs publics de cette Coupe du monde les ont désespérés.
La « saudade » des moments de bonheur fusionnels avec leur équipe semble avoir eu des conséquences. Ils oscillent entre l’amour passionnel et la distance que bon nombre se sont imposée vis-à-vis de l’événement qui catalyse l’ensemble des protestations. A voir le nombre de maillots « ouro e verde » ce matin dans les rues d’Ipanema, il semble que la raison du cœur l’ait emporté.
Les Brésiliens, tout comme leur équipe fétiche, sont sous pression. Raillés de toutes parts à propos des retards dans la livraison des stades et des infrastructures, de la corruption qui a accompagné les travaux, de la piètre cérémonie d’ouverture et du faible niveau de jeu de leur équipe durant le match d’ouverture, ils en ont gros sur la patate. En tant qu’observateur (définitivement partial, j’aime trop ce pays et ses habitants pour qu’il en soit autrement) je dois témoigner du fait que la spontanéité, la disponibilité et l’hospitalité dont ils font preuve compensent largement les lacunes citées plus haut. Il règne ici une ambiance vraiment chaleureuse. Les supporters des différentes équipes cohabitent dans la joie et la bonne humeur communicative qu’insufflent les Cariocas.
« Fica a vontade », la phrase communément employée ici pour souhaiter la bienvenue (comprenez « fais comme chez toi ») est parfaitement appropriée à la situation du moment. Chacun fait ce qui lui plaît, sans chichis ni règles contraignantes, ce qui semble ravir l’ensemble des convives. « Ordem e Progresso », la devise qui orne le drapeau national (inspirée de la pensée du philosophe français positiviste Auguste Comte) ne m’a jamais paru correspondre à la réalité du pays. « Desordem e Progresso » me semble lui aller beaucoup mieux …
Les Brésiliens que ce soit en musique, en football, en cinéma, en littérature, en cuisine ou dans n’importe quel autre domaine ne me paraissent jamais meilleurs que quand ils sont simplement eux-même. Exubérants, excessifs, incohérents, surprenants, généreux, joueurs, créatifs et candides. Jorge Ben, Chico Buarque, Caetano Veloso, Gilberto Gil, Joao Gilberto et Tom Jobim, pour ne citer qu’eux, ont imposé au monde entier (avec suavité et délicatesse) une musique originale qui ne pourrait provenir de nulle part ailleurs.
A l’inverse chaque fois qu’ils essayent de copier les Occidentaux, il n’en sort que grossièreté bouffonne (la chanson officielle de la Coupe du monde ou l’odieux « cover » de Blondie par leur égérie internationale Gisele Bundchen sont là pour en témoigner). Ils sont pour la plupart d’une élégance rare en « chinelos » (en tongues) mais peuvent paraître empruntés dans leurs habits du dimanche à l’image des Européens à la plage, souvent mal à l’aise avec leur corps dénudé. Car ils n’ont parfois pas conscience de ce qui est naturellement et réellement chic chez eux.
L’unité nationale n’est pas ici une réalité politique (la démocratie est trop récente pour jouer ce rôle et les trop nombreuses affaires de corruption empêchent le peuple d’avoir confiance dans l’Etat). Le ciment de cette unité est culturel. Il n’est l’apanage que d’expressions émanant des plus modestes couches sociales de la population (le foot, la samba, le carnaval, le baile funk). Ayant longtemps souffert de la condescendance des Occidentaux à leur égard, ils fantasment parfois sur le fait de leur ressembler oubliant au passage ce qui constitue la noblesse et l’originalité de leur personnalité propre.
16 h 45, Copacabana
Juste avant le match d’ouverture, les grandes artères de la ville et les avenues mythiques de bord de mer, n’avaient pas donné lieu au spectacle de l’excitante ferveur populaire espérée par les joueurs et l’encadrement de la Seleçao. On ne peut pas en dire autant aujourd’hui. La fameuse montée d’adrénaline est cette fois bien palpable. On sent la frénésie dans les déplacements des cariocas. Ils semblent pressés d’en finir avec leurs obligations du jour pour se préparer à suivre ce Brésil-Mexique. Cette exaltation collective est d’ailleurs à l’origine d’un accident de bus, juste devant le jardin botanique.
Le jaune a envahi la ville autant que le bleu et blanc avant hier. Les klaxons et pétards font monter d’un cran le niveau sonore du quartier, déjà très bruyant. Je demande leur pronostic aux différents vendeurs ambulants de drapeaux et de fanions que je rencontre sur mon chemin. Pas un ne met en doute la victoire du Brésil. 2-0 est même le score le plus raisonnable de leurs prédictions.
A l’intersection de l’avenue Nossa Senhora et de la rue Bolivar se trouve l’étal de Ricardo. La quarantaine bedonnante, il porte de gigantesques lunettes jaunes et vertes rappelant par leur démesure celles d’Elton John période Rocket Man « Aujourd’hui, ça va bien se passer », me dit-il, sûr de lui. « C’est normal qu’avec la pression notre première prestation ait été moyenne, mais aujourd’hui on va gagner 3-0. » Il se risque même à me donner le nom des buteurs : Fred, Neymar et Paulinho. Le match commence. Je le suis au comptoir d’un « pe sujo » du quartier, (pieds sales) c’est le nom qu’on donne aux derniers botecos populaires encore en activité (ici aussi la mondialisation fait des dégâts et le bonheur d’impersonnelles chaînes de restauration).
Au menu, un chopp « stupidemente gelado », comme l’exigent les cariocas, qu’accompagne un pasteis de camarao com catupiry (un chausson fourré aux crevettes, crème de fromage). Il y a un léger décalage entre les différentes chaînes qui diffusent le match. Les réactions des supporters qui le regardent dans les bars alentour ont à chaque fois un temps de retard sur ce que nous voyons à l’écran. Si il y a un but, nous serons donc les premiers du bloc à le voir. Mais de but, il n’y aura pas. Une nouvelle fois décevante, la sélection brésilienne doit partager les points avec le Mexique. le score de 0-0 étant la conséquence conjuguée de la maladresse des attaquants brésiliens et du match exceptionnel d’Ochoa, le portier mexicain.
Un souvenir enfoui me revient tout à coup, celui d’un match de championnat de France ou il écœura de façon similaire les stars du PSG à l’époque où il gardait les buts d’Ajaccio. Au coup de sifflet final, sans pleurs ni larme, désabusés, les clients quittent le boteco. Dans la rue j’attrape des bribes de conversations et quelques cris du cœur : « Dilma, vai tomar no cu ! » (Dilma, va te faire foutre !), « Neymar, voce e um fanfarão ! » (Neymar, tu n’es qu’un fanfaron), « Fred, so ta bom pra caïr » (Fred, t’es bon qu’à plonger) … Je repasse devant l’échoppe ambulante de Ricardo qui replie consciencieusement ses drapeaux l’air un peu abattu. Nous n’échangeons pas un mot, juste un regard connivent qui confirme que notre impression est la même : pas terrible… Pour le Brésil, une chose est sûre : l’incertitude demeure.
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