Qu’il s’agisse de contraception, de santé sexuelle ou de devoir conjugal, les inégalités de genre ne s’arrêtent pas à la porte de la chambre à coucher. Au contraire, elles s’immiscent jusque sous la couette.
S’occuper d’acheter des préservatifs, s’inquiéter de la dentelle de ses sous-vêtements, faire l’amour même quand on a la tête ailleurs… Si tout le monde a eu vent des concepts de charge mentale et de sa petite sœur la charge émotionnelle, jusqu’à présent les inégalités qui traversent l’intimité du couple restaient non dites, invisibles. Or, comme le démontrent les journalistes Clémentine Gallot et Caroline Michel dans leur essai La Charge sexuelle. Pourquoi la sexualité est l’autre charge mentale des femmes (First Editions) il en est du sexe comme de tâches ménagères. Hommes et femmes ne sont pas logés à la même enseigne. “Pour concevoir la charge sexuelle, il faut au préalable reconnaître la domination masculine et les privilèges objectifs dont on jouit lorsqu’on est un homme. C’est-à-dire l’androcentrisme de la société : tout tourne autour, tout est fait pour, tout est à l’image du masculin”, expliquent les journalistes en préambule.
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Un savoir sexuel à trous
Alors que le sexe masculin est omniprésent dans l’espace public, dessiné sur les portes des WC comme sur les vitres du métro, le clitoris est absent des manuels de biologie. “L’hypertrophie de la sexualité masculine” n’a pas rendu les hommes plus avides de savoir, plus concernés par la sexualité de leur partenaire, bien au contraire. Études et chiffres à l’appui, les deux journalistes prouvent que ce sont les femmes qui, dans le couple, détiennent le savoir sexuel et qui se préoccupent des conséquences sanitaires et émotionnelles qui en découlent. Ce sont elles encore qui portent sur leurs épaules le bien-être sexuel.
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Les femmes, poursuivent Clémentine Gallot et Caroline Michel, se sentent responsables du plaisir de leur partenaire masculin et prises dans la nasse d’une sexualité phallocentrée, elles se sentent moins légitimes à jouir. “[Les femmes] ne sont qu’un tiers à orgasmer pendant l’acte proprement dit, par la pénétration ou le coït (sans aucune excitation avec la main)” rappellent les journalistes. Mais si les femmes jouissent moins que les hommes ce n’est pas seulement parce que le schéma pénétratif est la norme dans une relation hétérosexuelle, mais parce qu’elles sont également moins informées sur leur propre corps. Elles ignorent souvent les détails de leur anatomie, confondant vulve et vagin et intériorisant un préjugé historique qui rend l’orgasme féminin mystérieux, imprévisible. “Les femmes ont pris le pli d’une sexualité médicalisée à force de rendez-vous chez le gynécologue, là où les hommes perçoivent la sexualité seulement par le prisme du plaisir” analyse le médecin hospitalier Patrick Papazian dans l’essai.
Caleçon, épilation, contraception
Au déséquilibre du savoir sexuel se mêlent d’autres charges additionnelles : procréative, médicale, contraceptive ou encore érotique… Ensemble, elles tissent l’immense toile que forme la charge sexuelle : “La charge sexuelle, c’est la charge mentale appliquée à l’intimité. C’est une partition cognitive invisible qui trie, répertorie, organise le quotidien. (…) Pour un certain nombre de femmes, la sexualité équivaut à une to-do list infinie”. Si les hommes ne sont pas exempts d’injonctions et d’emails les invitant à agrandir leur pénis et à bander contre vents et marées, les femmes subissent en grande majorité les diktats régis par la société. Elles doivent multiplier leur vestiaire de lingerie, s’épiler l’intégralité du corps, être sexy mais pas trop, se protéger du revenge porn mais aussi “rassurer l’autre, faire passer le plaisir du partenaire avant le sien, simuler, prendre rendez-vous chez le sexologue. Même les conseils pour les problèmes d’érection sont à destination des femmes !” ajoute Clémentine Gallot, collaboratrice pour les Inrockuptibles.
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Qu’est-ce qui, dans notre histoire, a poussé les femmes à accepter ce labeur invisible, si peu gratifiant ? Dans leur ouvrage, les autrices proposent de nombreuses pistes et expliquent notamment comment la recherche médicale a fait de la contraception une question presque exclusivement féminine. Sur quinze méthodes, démontrent-elles, onze sont à destination des femmes. “Le déséquilibre est flagrant, d’autant que le préservatif masculin, le retrait et l’abstinence restent une charge pour les femmes.” Pour Clémentine Gallot, la charge sexuelle est “le produit d’une longue histoire de la sexualité”, un récit non linéaire frappé de nombreuses ruptures. “En un siècle on est passé.es de l’interdiction (dans un 19ème siècle répressif) à l’injonction à jouir, la transition est forcément compliquée.” Résultat, les femmes sont aujourd’hui sous le joug de nombreuses injonctions contradictoires, invitées à jouer à la maman et à la putain.
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Si les deux journalistes se réclament “un droit inaliénable à se plaindre”, leur essai s’applique à proposer quelques portes de sorties. Et elles sont nombreuses : “pratiquer l’auto-exploration, sortir de la pénétration et des « préliminaires », repenser l’hétérosexualité comme seul horizon, dégenrer nos pratiques pour qu’elles soient plus poreuses, déconstruire la culture du viol, pratiquer le consentement…” propose Clémentine Gallot.
À l’instar de la charge mentale, la charge sexuelle met en lumière un déséquilibre systémique et une dialectique dominant-dominé profondément enracinée. Elle interroge notamment la persistance des inégalités entre hommes-femmes dans nos sociétés. À ce titre, elle est hautement politique.
La Charge sexuelle. Pourquoi la sexualité est l’autre charge mentale des femmes (First Editions) – 198 pages – Paru le 11/06/2020
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