Dans son numéro de novembre, le magazine « Causette » interviewe Cristina Nehring, éditorialiste américaine pour le New York Times, au sujet des viols sur les campus américains. Ses réponses sont pour le moins effarantes.
Alors qu’il prétend défendre l’égalité femmes-hommes, le magazine Causette accumule les dérapages sexistes. Les derniers en date se sont glissés dans son édition du mois de novembre. Tout d’abord, dans une rubrique de fiction baptisée « A force d’attaquer le machisme, on finit par obtenir une contre-attaque. Causette, belle joueuse, le laisse parfois s’exprimer« , (mais pourquoi en fait ?). S’y trouve un courrier (fictif, donc) d’un certain Eric, qui se présente comme « un homme, un vrai », et explique que « toute conquête féminine exige courage, hardiesse, culot ». Pour lui, les malheureux qui en sont dépourvus « disparaissent du radar féminin dans la course à la fesse ». Mais c’est « tant mieux : ça laisse plus de place aux autres. » Voilà, voilà.
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Vient ensuite une interview d’une certaine Cristina Nehring, présentée comme éditorialiste américaine pour le New York Times, docteure en littérature et auteure de plusieurs ouvrages dont L’Amour à l’américaine. Une nouvelle police des sentiments. Les titres claquent. Elle est invitée à analyser la loi « Yes means yes » adoptée par plusieurs Etats américains et qui dispose qu’en matière de relations sexuelles sur les campus universitaires, les deux parties doivent clairement se dire « oui », afin de marquer leur consentement au rapport. Une mesure adoptée après plusieurs scandales de viol sur différents campus.
Or, si la pertinence d’une telle loi peut effectivement être questionnée – quel témoin pourra attester qu’un « oui » a bien été prononcé ? – minimiser les viols survenus sur les campus américains est un dérapage dont tout le monde se serait bien passé. Ainsi, à la question « comment prouver qu’il y a bien eu ce consentement?« , l’éditorialiste ne se contente pas d’assurer que « c’est improuvable » et que l’on se trouve dans un schéma « parole contre parole« , elle ajoute :
« De plus en plus de femmes viennent voir les autorités du campus pour dire qu’elles ont été violées. Leur argument ? Je n’ai pas dit oui, je n’ai pas donné mon consentement. Alors que, dans beaucoup de cas, il s’agit de femmes qui regrettent un acte sexuel le lendemain pour des milliers de raisons, qui n’assument pas la relation qu’elles ont eue et se rétractent en affirmant que c’est un viol. Dans le système universitaire américain, malheureusement, le garçon est coupable jusqu’à preuve du contraire. C’est automatique de penser que les filles ne mentent pas, qu’elles n’ont aucun intérêt à inventer ça, qu’elles ont dû se taire et que si, finalement, elles ont le courage d’en parler, il faut les encourager et ne surtout pas questionner leurs propos. C’est évidemment vrai dans de nombreux cas, ce qui est tragique, mais dans d’autres, ça ne l’est pas, et cela s’est déjà avéré catastrophique dans beaucoup d’endroits. »
« Il faut faire un vrai tri entre une erreur, un regret et un viol »
Plus loin, Cristina Nehring estime qu’en cas de viol, il « faut se rendre à la police plutôt que d’aller voir les autorités de l’université« , et appelle à « faire un vrai tri entre les ambiguïtés qu’il peut y avoir dans les relations humaines et des actes criminels (…) entre une erreur, un regret, et un viol. » Pour elle, « un homme peut être très égoÏste et très narcissique, il peut charmer une fille uniquement pour la mettre dans son lit, mais il ne faut pas tout confondre. Pas tout appeler un viol. » Et d’enfoncer le clou en estimant qu’il s’agit d’une tendance : « C’est devenu de plus en plus à la mode de victimiser les femmes. »
Plusieurs choses ici : depuis quand confond-on « une erreur, un regret et un viol ? » En France, comme aux Etats-Unis, le viol est clairement défini par la loi : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. » De plus, alors qu’elle appelle à ne pas tomber dans le travers de la victimisation, Nehring déroule elle-même un argumentaire victimaire, et, dès lors, sexiste. Ainsi, selon elle, les filles peuvent se laisser berner par des hommes « très égoïste(s) et très narcissique(s) », qui vont les convaincre d’avoir des relations sexuelles, qu’elles regretteront pas la suite et qu’elles qualifieront donc de « viol » pour se déculpabiliser. Un drôle de raisonnement à mille lieux du féminisme revendiqué par le magazine…
Un discours irresponsable, même, alors que nombre de victimes d’agressions sexuelles ne parviennent toujours pas à mettre des mots sur ce qui leur est arrivé, encore moins à déposer plainte contre leur agresseur. Quel intérêt y a-t-il à jeter le doute sur la parole d’un(e) victime de viol ?
Ce n’est pas la première fois que Causette aborde un sujet grave avec beaucoup de maladresse. En 2013, le magazine racontait la liaison d’une professeure et de son élève de manière romantico-érotique. Alors contacté par nos soins, le directeur de la publication, Grégory Lassus-Debat se justifiait ainsi : “Les sujets difficiles et délicats, on les aborde. Par exemple, quand on fait un dossier sur l’assistance sexuelle des handicapés ou sur la prostitution, on donne notre avis.”
Quelques mois plus tard, Causette cherchait à faire de l’humour sur la prostitution en lisant « 55 raisons de résister à la tentation » (et sur lequel la rédaction s’était expliquée). Parmi elles: « Parce que, quitte à se taper une fille qui n’a pas envie, autant la violer, c’est moins cher. (mollo, on déconne)” ou encore : On peut aussi relever : “Parce que vous n’êtes jamais sûr que cette “fille” qui vous excite tant n’en a pas une plus grosse que la vôtre. Sauf si vous êtes là pour ça.” ou encore “Parce que, puisqu’on ne souhaite à personne d’être un enfant de putain, faudrait voir à essayer d’arrêter de leur en faire.”
Papier mis à jour le vendredi 6 novembre à 20h.
Le droit de réponse de Causette à cet article est lisible ici.
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