Encore mal connus, quelque peu bricolés, les visas humanitaires sont délivrés au compte-goutte à des personnes en situation d’urgence pour leur permettre de rejoindre la France. Une procédure exceptionnelle, ouverte récemment aux homosexuels tchétchènes fuyant les persécutions.
Le 15 mai, poussée par les associations et l’urgence de la situation en Tchétchénie, la France se disait prête “à examiner les demandes de visas à caractère humanitaire”. Azamat (le prénom a été changé) est arrivé deux semaines plus tard : réfugié à Moscou pour échapper à la police dans son pays, il est le premier homosexuel tchétchène accueilli sur le territoire.
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Sur le papier, ces visas humanitaires sont la solution à toutes les situations d’urgence. “C’est une procédure rapide qui permet une arrivée légale dans le pays, et dans de bonnes conditions, explique Bénédicte Jeannerod, directrice France de l’ONG Human Rights Watch. Une fois arrivée, la personne peut alors faire sa demande d’asile. C’est un outil que la France devrait utiliser de manière la plus étendue possible.” Le site belge de Médecins du Monde ne tarit pas non plus d’éloges sur un système qui permet aux réfugiés “d’arriver en vie”, de “lutter contre les réseaux illégaux” et d’être “mieux accueillis”.
Or, pour l’instant, moins d’une dizaine de demandes ont été déposées auprès des institutions françaises, alors que des centaines d’homosexuels sont concernées par la purge de Ramzan Kadirov, le dirigeant brutal de la Tchétchénie.
Dangers et délais
Les délais et difficultés rencontrées tout au long de la procédure expliquent que tous ne se ruent pas vers cette solution « miracle ». Ces visas d’urgence sont délivrés hors du territoire français, dans les ambassades et consulats. Azamat a dû se rendre à Moscou, à plus de 1 800 km de la capitale tchétchène, pour se mettre à l’abri et faire sa demande. Exfiltré de son pays par un ami, il a été aidé par le réseau LGBT russe sur place.
“Il n’y a pas d’antenne française en Tchétchénie, et s’il y en avait une, demander un visa reviendrait à se dénoncer aux autorités, s’alarme Guillaume Mélanie, fondateur d’Urgence Tchétchénie. Il y a ensuite beaucoup de procédures administratives qui prennent du temps. Une fois que ces réfugiés sont dans l’ambassade de France, ils sont en sécurité. Mais même à Moscou, en attendant que les choses soient faites, on peut les retrouver.”
Prévus dans les accords de Schengen pour des “séjours courts”, des visas humanitaires pour “séjours longs” ont été mis en place en France sous le quinquennat de François Hollande pour aider les Syriens et Irakiens fuyant la guerre. Dans l’administration, on évoque une “procédure compliquée et rare”, un document délivré au compte-goutte pour des “personnes en situation de danger imminent qui ont besoin d’un accompagnement”. Une renégociation est souhaitée par les ONG, pour “plus d’efficacité”, car les dossiers peuvent être traités en quelques jours comme en quelques semaines.
L’action associative
Au cœur du processus : les associations. Le gouvernement français s’assure qu’elles prennent en charge les individus dès leur arrivée. “Elles doivent être responsables de la personne, y compris financièrement, le temps qu’elle déclenche la procédure de demande d’asile”, explique Bénédicte Jeannerod. Azamat est soutenu par les militants LGBT : SOS Homophobie s’est engagée à l’accueillir et l’accompagner dans ses démarches, tandis qu’Urgence Tchétchénie a pris la responsabilité de lui trouver un hébergement auprès de familles d’accueil russophones.
“Nous sommes en contact avec le ministère des Affaires étrangères via l’ambassadeur pour les droits de l’homme, explique Joël Deumier, président de SOS Homophobie. Depuis plusieurs semaines, nous identifions les Tchétchènes qui souhaitent partir. On essaye de fournir aux autorités des justificatifs pour montrer qu’ils sont en situation d’urgence et potentiellement victime de persécutions.”
En arrière-plan plane le risque de créer une filière d’accueil, dont bénéficieraient des personnes non concernées par la répression. “On ne se substitue pas à l’Ofrpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), on est juste là pour proposer des noms de personnes et documenter leur situation, en lien avec les associations russes.”
Du bricolage ?
Chaque demande est unique, individuelle et correspond à une situation précise. “La responsabilité est placée au niveau local, ce qui peut apparaître comme du bricolage, mais permet une forte réactivité, analyse Bénédicte Jeannerod. Une ambassade ou un consulat basé à Erbil (en Irak– ndlr) ou à Moscou aura une bonne connaissance du contexte et pourra réagir comme il se doit aux demandes de protection.” Elle souligne néanmoins la nécessité d’une “réflexion transversale” entre les ministères concernés, celui des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur. “Il est inacceptable qu’une personne menacée soit bloquée une vingtaine d’heures en zone d’attente, comme ça a été le cas lors de l’arrivée d’Azamat.”
Les ONG réclament une augmentation du nombre des visas humanitaires, bien que la France soit l’un des pays qui en accordent le plus : 4 200 en 2016. Dans sa Feuille de route pour les droits humains envoyée au Président, l’Ofpra l’invite à “manifester son engagement à accueillir un plus grand nombre de réfugiés en France, en augmentant le nombre de visas humanitaires attribués”.
Canada, Lituanie, Pays-Bas et Allemagne ont également proposé d’ouvrir leurs portes aux homosexuels tchétchènes. “En ce moment, il y a d’autres demandes de visas en cours, glisse Guillaume Mélanie. On attend deux réponses, que l’on espère positives.”
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