Wonder Woman, Super Girl ou encore Jessica Jones : les super-héroïnes étaient présentent en masse lors de l’édition 2017 du ComicCon. Un univers majoritairement masculin, où les femmes se font peu à peu leur place. Rencontre avec la dessinatrice Stéphanie de Hans, entre jupettes affriolantes et super-pouvoirs.
« Je suis dessinatrice de comics professionnelle et je suis une fille. Est-ce que cela doit faire de moi une sorte de baleine blanche ? » D’emblée Stéphanie Hans donne le ton. Connue pour les bandes-dessinées Galathéa et Héritages, cette artiste française collabore depuis presque dix ans avec les plus grandes maisons d’édition américaines – Marvel, DC comics – dont elle réalise régulièrement les unes.
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Cette année, elle signait aussi l’affiche du ComicCon, rendez-vous des créateurs et amateurs de comics. Elle était l’invitée de la conférence « Visible Women, les femmes dans l’univers du comics« , aux côté de la blogueuse Katchoo et de la scénariste Clotilde Bruneau. L’occasion de revenir avec elle sur la place des femmes dans cette industrie, à forte dominance masculine.
It’s a man’s world
Quand on lui demande ce qu’il en est de la place des femmes dans l’industrie du comics, Stéphanie Hans sourit : « Il n’y a qu’en France qu’on me pose la question. » Depuis ses débuts chez Marvel en 2010, elle ne travaille plus qu’avec des maisons d’édition américaines. Si là-bas comme ailleurs les femmes sont minoritaires, elle s’y sent plus libre pour travailler : « C’est plus facile, explique-t-elle. Le monde de l’édition français a tendance à mettre les gens dans des cases, à attendre d’une dessinatrice qu’elle ait un style « girly », quand mon trait est perçu comme plus neutre. »
Comme beaucoup d’autres artistes, elle a participé à la campagne « #Visible Women » : « C’est ce qu’on fait quand on appartient à une communauté » explique-t-elle. Lancée par la dessinatrice Kelly Sue DeConnick, le hashtag a pour ambition de mettre en avant le travail d’illustratrices, de scénaristes, mais aussi celui moins connu de coloristes ou d’encreuses, dans des industries largement dominées par les hommes.
Hi, I'm Katja! I do comics & I'm the creator of #girlsplaing a comic column @broadlyDE. I'm inspired by sailor moon & food :) #VisibleWomen pic.twitter.com/QarQdzAYl9
— Katja Klengel (@Leafvangenova) August 10, 2017
« C’est plus dur pour une femme d’être reconnue pour son travail« , explique Marie-Paule Noel, éditrice freelance et modératrice de la conférence. Dans un secteur souvent précaire, les femmes artistes rencontrent encore plus de difficultés que leurs homologues masculins pour trouver du travail et pour en vivre : « en moyenne, elles sont payées entre 33 et 43% moins que leurs confrères masculins. »
Minorité
La part de femmes autrices et dessinatrices varie fortement selon les éditeurs, mais reste minoritaire : elles sont moins de 8% chez Marvel et DC Comics, mais plus de 30% chez BOOM! (qui édite notamment les aventures des Power Rangers). Stéphanie Hans se souvient avoir été la seule femme invitée lors de conventions :
« On me demandait : « Vous êtes la coloriste ? » Il n’y avait pas de réelle hostilité, plutôt de l’étonnement et de la maladresse. Parfois si on était plusieurs femmes, on nous asseyait carrément à la même table, ils ne savaient pas trop quoi faire de nous !«
Une inégalité qui se retrouve de l’autre côté du crayon. En 2014, le site FiveFortyEight recensait ainsi 29,3% personnages féminins chez DC Comics, et seulement 24,7% chez Marvel.
Des femmes en collant ou des femmes dans le frigo
Cette différence quantitative se répercute sur le traitement des personnages. Souvent cantonnées à des fonctions de faire-valoir aux côté des héros masculins, elles incarnent tour à tour la demoiselle en détresse, l’idéal féminin ou sont de simples déclinaisons féminines des super-héros les plus connus. Des « ladies in lycra« , des femmes en collant, forcément moins puissantes que leurs homologues masculins.
Voire sont carrément reléguées dans le réfrigérateur. Créé par la scénariste Gail Simone dans les années 90, le site Women in refrigerator, littéralement « Les femmes dans le réfrigérateur », recense ainsi les personnages de comics féminins brutalisés et tués, pour servir l’intrigue du héros principal. Des sacrifiées sur l’autel du scénario en somme. L’expression fait directement référence à l’une des « victimes », Alexandra DeWitt, petite amie du super-héros Green Lantern, sauvagement démembrée par le méchant de l’histoire avant d’être retrouvée… dans le réfrigérateur, justement.
Pas de culotte en métal !
Quand un personnage féminin est tout de même mis en avant, c’est souvent pour incarner un fantasme de femme fatale. Une hypersexualisation qui conduit souvent des héroïnes guerrières à combattre dans des armures aux dimensions de bikinis comme Wonder Woman, ou dans des combinaisons moulantes à la Catwoman. Sur la scène du ComicCon, Stéphanie Hans s’amuse : « Ma limite c’est la culotte en métal, là je dis non, ça a l’air beaucoup trop inconfortable ! »
« Pourquoi pas, si l’intrigue le justifie, tempère Clotilde Bruneau. Un personnage féminin sexy et sexualisé n’est pas forcément en contradiction avec une représentation positive« . Ainsi le personnage de Vampirella, archétype de la femme fatale, peut tout à fait être perçu comme une héroïne féministe. Jusqu’à son costume, pour le moins minimal, qui fut imaginé par la dessinatrice Trina Robins connue pour ses positions féministes.
Pour autant, depuis quelques années, l’hypersexualisation des personnages féminins suscite des réactions de plus en plus négatives parmi le lectorat. En 2014, la une de Marvel représentant dans une pose très lascive le personnage de Spider-Woman avait fait l’objet de vives critiques. Œuvre du dessinateur érotique Milo Manara, cette couverture fait partie des nombreuses détournées avec humour par le site The Hawkeye Initiative, qui s’amuse à reproduire les représentations hypersexualisées des héroïnes de comics en leur substituant des personnages masculins, afin de pointer du doigt le ridicule de leurs postures.
Vers plus de diversité
L’héroïne de comics peut-elle être autre chose qu’un faire-valoir ou un bel objet ? Stéphanie Hans répond oui, on s’en doute. Sur sur portefolio en ligne, on peut voir ses dernières réalisations : super-héroïnes en collants moulants, Amazones majestueuses aux jambes puissantes, créatures guerrières revêtues d’armures. Des personnages féminins en majorité, et positifs.
« A mes débuts, j’avais du mal à dessiner les corps masculins, raconte-t-elle, je me sentais plus à l’aise avec les personnages féminins. Mais depuis que je travaille chez Marvel j’ai bien été forcée de m’y mettre !«
Petit à petit pourtant, les unes se sont féminisées. « On observe un vrai changement ces dernières années, et un regain d’intérêt des éditeurs pour les personnages féminins« , souligne l’éditrice Marie-Paule Noel.
Une des raisons avancée est une modification sensible du lectorat, due à de nouveaux modes de diffusion. La numérisation des publications notamment a fait sortir les comics des magasins spécialisés, d’avantage fréquentés par un public masculin. Résultat : un lectorat féminin grandissant, en quête d’héroïnes. La sortie en 2017 d’un film inspiré par la bande dessinée Wonder Woman a suscité un réel regain d’intérêt pour le personnage, incarnée à l’écran par Gal Gardot. A ses côtés, de nouvelles héroïnes sont venues grossir les écuries Marvel et DC Comics, comme Kamala Khan, super-héroïne voilée, mais aussi Riri Williams, la filleule d’Iron man, jeune adolescente afro-américaine.
L’avènement de la fille badass
« Les super-héroïnes font vendre« , résume Marie-Paule Noel, et sont donc amenées à se banaliser. Clotilde Bruneau, scénariste confirme : « Le nouveau cliché, c’est la fille badass », qui en s’en laisse pas compter. » Elle déplore toutefois une certaine standardisation de ces héroïnes : « La perfection va de pair avec la notion de super-héroïne. Mais il y a aussi un effet pervers : c’est comme si, pour justifier son importance dans l’histoire, un personnage féminin se devait d’être irréprochable. »
Un mouvement de fond semble toutefois s’être mis en place, avec de nouvelles héroïnes toujours plus complexes, et imparfaites. Ce qui augure de plus de parité et plus d’espace pour les artistes féminines. Stéphanie Hans conclut : « On m’a dit une fois : les gens connaissent tes dessins, maintenant il faut qu’ils connaissent ton nom. » Et si Wonder Woman était l’avenir de l’homme ?
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