Dans l’émission Spécial investigation de Canal +, diffusée lundi 25 juin et intitulée « Vacances : derrière la carte postale », une caméra cachée s’est glissée dans deux petites fermes de contenus fabriquant des faux avis depuis Madagascar. Entretien avec Frédéric Audran, l’un des journalistes ayant réalisé cette enquête.
Tripadvisor ne devrait plus « revendiquer ou laisser entendre » que les avis postés sur son site proviennent de « vrais voyageurs, ou sont honnêtes, réels ou fiables« . Le 1er février, l’Advertising Standard Authority (ASA), gendarme anglais de la publicité, rendait en ces termes sa décision concernant le site leader mondial des avis de voyageurs sur le Web. Tripadvisor nous répondait alors que cette affirmation allait « à l’encontre du bon sens« .
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En juillet 2011, devis à l’appui, nous avions démontré dans une enquête que des entreprises françaises et étrangères vendaient de faux avis. Ces agences d’e-reputation brouillaient l’identification de leurs ordinateurs en utilisant notamment des serveurs proxis ou des clés 3G. Après plusieurs plaintes d’hôteliers, Tripadvisor assure avoir mis en place quelque vingt-cinq filtres afin de contrôler la fiabilité des commentaires postés par ses utilisateurs. Il y a six mois, le site a également remplacé son slogan « Reviews you can trust » (Avis de confiance) par le plus modeste « Reviews from our community » (Avis de notre communauté).
Dans l’émission Spécial investigation de Canal +, diffusée lundi 25 juin et intitulée « Vacances : derrière la carte postale« , une caméra cachée s’est glissée dans une petite ferme de contenu basée à Madagascar.
Toute la journée, des employés y fabriquent tranquillement de faux avis, destinés notamment à être postés sur Tripadvisor. « Aucun système n’est fiable à 100%« , se défend – comme précédemment pour la décision de l’ASA – Artiné Mackertichian, porte parole France de Tripadvisor. Nous avons interviewé Frédéric Audran, de l’agence de presse Story Box Press, qui a réalisé cette enquête avec Capucine Graby pour Canal +.
Il y a un an, une entreprise basée également à Madagascar proposait de nous détacher un employé à plein temps pour 550 euros par mois. Vous avez trouvé l’équivalent pour 400 euros. Excepté les prix, qu’est ce qui a évolué du côté des fermes de contenus ?
Elles se sont adaptées principalement en s’appliquant davantage pour la fabrication des faux avis. Si ce n’est pas bien fait, cela ne marche plus. La première entreprise malgache qui apparait dans notre reportage, la moins chère, n’a pas pris de précautions. Tripadvisor n’a même pas publié ses avis. Après coup, je me suis aperçu qu’elle nous avait créé de faux avis à partir de comptes d’utilisateurs différents, mais avec un mot de passe identique qui était une date d’anniversaire… C’était très artisanal. Pour autant, c’est difficile de comprendre comment Tripadvisor gère exactement son contrôle. Même Artiné Mackertichian ne veut pas évoquer les rouages internes de sa boutique.
Pensez-vous que les « 25 filtres » et la soixantaine de personnes employées par Tripadvisor au contrôle de la fiabilité des avis sont une garantie suffisante ?
Tripadvisor est très conscient de l’existence des fermes de contenus et des pratiques de certains agences d’e-reputation. Mais, à titre d’exemple, les routines de contrôle ont été identifiées par beaucoup d’acteurs. La patron français de l’autre agence d’e-reputation malgache nous expliquait qu’il ne faut pas créer de pics de messages ou d’avis. Quand un hôtel ne reçoit en moyenne que deux à trois avis par mois, il ne doit pas en recevoir cinq ou six par semaine d’un coup. Cela active les filtres. Si tu écoutes Tripadvisor, ils font alors une petite enquête. En réalité, je pense qu’ils restent un peu dépassés par les événements. Il y a plein d’avis qui passent toujours à travers les mailles du filet.
Entre les avis acceptés et refusés, dur d’établir des statistiques…
Personne n’a de chiffres. Même Tripadvisor ne peut quantifier le phénomène.
Tout compte fait, le modèle économique de Tripadvisor en est-il vraiment affecté ?
Non, c’est davantage en terme d’image que cela leur pose problème. Ils essayent constamment de minimiser cet aspect-là. Ils expliquent qu’aucun système n’est parfait, que leurs utilisateurs sont intelligents et savent lire entre les lignes… Pour avoir vu le patron français de l’entreprise malgache me faire une démonstration sur un site concurrent, j’irais même plus loin. Je pense, sans en avoir la preuve formelle, que sur leur site, certains de leurs « experts », ou considérés comme tels par la communauté, pourraient être de faux profils.
Pensez-vous que, pour des grands hôtels, il peut exister des entreprises qui fabriquent des faux avis de façon encore plus « professionnelle » et industrielle ?
C’est fort probable. Nous avons ainsi trouvé une entreprise française à la Réunion qui nous a proposé un « package » plus global. En plus des faux avis, elle nous proposait diverses techniques sophistiquées pour améliorer notre niveau de référencement avec notamment de faux profils Facebook. Son prix était lui aussi différent : 400 euros la journée, soit une prestation finale qui tournait autour de 8 000 euros. Cela revenait trop cher pour que nous puissions aller au bout. De plus, pour un format destiné à la télévision, cela s’avérait compliqué à mettre en image. A mon avis, les grands groupes hôteliers n’auraient aucun mal à se payer de tels services.
recueilli par Geoffrey Le Guilcher
Rediffusions de « Vacances : derrière la carte postale » lundi 23 juillet à 22h25 et dimanche 29 juillet à 12h55, en clair.
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