Comment on est passé en cinq siècles des “Billets galants” aux pokes : suivez la nouvelle carte du Tendre.
Pur produit du XVIIe siècle, la carte du Tendre peut-elle encore aider l’amoureux moderne à s’orienter ? S’il s’agit toujours de gagner « Respect » en évitant de passer par « Tiédeur », si l’on prend le chemin qui va de « Nouvelle amitié » à « Estime » (plus si affinités), un certain nombre de villages ont été rasés au profit de lotissements plus modernes.
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Définie comme une « représentation topographique et allégorique » d’une relation sentimentale, la carte du Tendre accompagnait à l’origine Clélie, histoire romaine, roman de Madeleine de Scudéry. Elle illustre à merveille la conduite et la pratique amoureuse du temps où la préciosité était le summum du cool. Autre époque, autres moeurs, de nos jours la conversation galante a été remplacée par les chats ambigus à 2 heures du matin et les choses se passent clairement plus sur les écrans d’ordinateurs que dans les alcôves.
Les pokes, nouveaux regards langoureux à distance
Exit l’exaltation des sentiments nobles, l’amour idéalisé et le vocable raffiné. Aujourd’hui, pour des millions de gens, il est surtout question de pécho sur le web. Ce dernier structure la vie sociale de bon nombre d’entre nous avec plus de force qu’aucun mode de communication classique. A ce titre, de la rencontre (voire la prérencontre) à la rupture, internet vient jouer un rôle essentiel pour une partie de la population entre 15 et 40 ans pour laquelle il est compliqué de rester déconnecté plusieurs jours de suite. Les mails, SMS et autres messages privés ont remplacé les billets doux. Les pokes s’imposent comme des sortes de regards langoureux à distance.
Et pour se muer en relation amoureuse, la « Nouvelle amitié » des précieuses que nous rebaptiseront ici « friend request » passera d’abord par une googlisation sauvage (taper le nom d’une target dans un moteur de recherche est un passage obligé pour tous les doux dingues, ne serait-ce que pour se trouver des intérêts communs ou des sujets de conversation), quelques commentaires bien placés et deux ou trois pokes assumés.
Facebook aurait facilité la vie de Nemours
Internet multiplie les possibilités. La parole y est plus libre, la timidité moins pesante et l’espionnage (stalking) plus aisé. Nemours, au lieu de voler le portrait de la princesse de Clèves et de l’épier à la tombée de la nuit, aurait vu sa vie d’amoureux transi simplifiée en allant consulter le profil Facebook de l’intéressée. Moins poétique mais plus efficace.
De nouvelles terres et de nouvelles contrées sont à explorer dans la carte du Tendre moderne, qui garde pourtant certains écueils invariables. Gare à celui qui se noiera dans le « Lac d’indifférence » ou se perdra dans les contrées désolantes de « Méchanceté » et de « Médisance », sports nationaux d’internet.
A ce titre, être éconduit ou quitté au temps de Facebook, Twitter ou autres réseaux chronophages et un chouïa malsains s’apparente à une certaine forme de torture moderne. Le dilemme cornélien contemporain n’a plus rien à voir avec celui de Chimène, croc love du mec qui a tué son père, mais renvoie davantage à des questions existentielles ressemblant à une accroche de journal féminin du genre : « Faut-il garder son ex dans sa liste d’amis ? » Une interrogation motivée par la peur de voir s’afficher quotidiennement des informations n’aidant pas particulièrement à faire le deuil d’une relation – de la nouvelle coupe de cheveux de l’être aimé à son agenda quotidien en passant par son changement de statut amoureux et les photos d’un hypothétique nouveau couple constitué. Le chemin est alors d’autant plus long et escarpé pour atteindre cette contrée immuable appelée « Oubli ».
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