Directrice artistique de la maison fondée en 1952, Natacha Ramsay-Levi raconte une féminité puissante qui refuse les clichés.
Quand nous la rencontrons au Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode d’Hyères, Natacha Ramsay-Levi est vêtue d’un T-shirt imprimé d’une carte postale des années 1970, d’un pantalon pattes d’eph qui flirte avec le baggy de skateur et d’un bijou rappelant autant l’ère punk que les déesses cycladiques.
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“La frontière entre le bon et le mauvais goût n’existe plus aujourd’hui, tout est question d’équilibre”, affirme la directrice artistique de la maison Chloé, poste qu’elle occupe depuis 2017. En cette journée ensoleillée de mars, habillée intégralement dans l’une des tenues de sa dernière collection, elle est là en tant que présidente du jury mode de l’événement annuel avec, à ses côtés, entre autres, Charlotte Casiraghi et la top Liya Kebede. Ce sera d’ailleurs la “justesse entre la sensualité et la structure” qui lui fera décerner le Grand Prix au créateur autrichien Christoph Rumpf pour ses pièces à la fois organiques et architecturales.
Non loin, donc, de la vision qu’elle insuffle dans ses créations actuelles. Après des études d’histoire à Paris 8, puis à l’école de stylisme Studio Berçot, cette Parisienne pure souche fait ses armes chez Balenciaga, aux côtés de Nicolas Ghesquière. Ce dernier, connu pour ses femmes amazones enveloppées de coupes hyperstructurées, fait d’elle son bras droit, et elle le suivra chez Louis Vuitton, où il tient encore les rênes de la création.
Une refonte en profondeur des notions d’harmonie et de féminité
Pourtant, après quinze ans à penser à des femmes fatales urbaines, la voilà donc chez Chloé, plus connue pour ses féminités vaporeuses et bohémiennes. Le challenge peut sembler périlleux, mais elle jette des ponts magistraux entre ces deux mondes. Pour le président de la maison, Geoffroy de La Bourdonnaye, elle représente le choix idéal “à l’intersection du savoir-faire de la couture parisienne et de l’attitude audacieuse de la fille Chloé”.
A commencer par la notion même d’harmonie et de féminité, qu’elle repense en profondeur. Pour celle que la presse anglo-saxonne surnomme déjà “NRL”, il n’y aurait “pas une mais beaucoup de femmes Chloé”, qui partagent un côté “artiste et déterminé”, dit-elle. “J’essaie de comprendre le rapport au vêtement que l’on peut chercher au quotidien : si l’on veut être tenue, lâchée, (…) ultra-sexy ou au contraire boyish.”
Plus utopiste que baba cool, le Vogue US y voit surtout une ode à la puissance féminine. Pour Tim Blanks, critique de mode pour The Business of Fashion, son tour de force serait d’avoir apporté “une certaine étrangeté à la douceur de Chloé”.
Son travail propose à la fois une ode aux créations passées et une vision bien à elle, teintée de références à des sous-cultures qui lui sont propres. Prenant la direction artistique de Chloé après Karl Lagerfeld dans les années 1960, puis Stella McCartney, Phoebe Philo et Hannah McGibbon, elle intègre leurs visions à son esthétique pour une palette qui modernise l’histoire de la maison écrite jusque-là.
Elle conserve les coupes évasées, le tweed, le velours, les broderies anglaises et le romantisme aérien. Auxquels elle ajoute du tailoring masculin déstructuré et chamboulé, retenu par des attaches, complexifié par un jeu de superpositions.
Pourquoi s’habiller, se demande-t-elle ?
Des chemisiers légers comme un souffle se frottent à du denim brut, des robes à fleurs sont détournées par des découpes audacieuses, des bottines se font mi-victoriennes, mi-boots santiags ; ses bijoux s’inspirent des sculptures d’Ana Mendieta et de Gaston Lachaise. A chaque pièce, plusieurs lectures : on devine des notes punk, rave, hippy dans son utilisation du Lurex, du velours côtelé, dans ses pull-overs imprimés.
Selon Serge Carreira, maître de conférences à Science Po et spécialiste du luxe et de la mode, “Natacha a une vision du féminin qui est assez singulière : elle n’est pas naïve, ce n’est pas une féminité conventionnelle, sa femme est forte et elle arrive à concilier quelque chose de romantique et de futuriste à la fois. Elle n’est pas dans un cliché enfermant type ‘la femme vamp’, mais possède quelque chose de fondamentalement élégant au sens classique du terme, le tout avec une vision radicale”. Pourquoi s’habiller, se demande-t-elle ?
“C’est un désir de se démarquer, mais aussi d’appartenir, de raconter quelque chose de soi”, rappelle celle qui passait autrefois par le vêtement pour parler d’elle en tant qu’ado timide. Mission accomplie : elle offre aujourd’hui un équilibre entre force et douceur qui réconcilie les multiples aspects de chacun.e – et particulièrement de la femme Chloé.
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