Imaginée dans un contexte de lutte contre le sida, la sitcom cartonne sur le continent africain. Au programme : éducation sexuelle, contraception, et homosexualité.
Au premier abord, cette série télévisée à destination d’un public jeune rassemble tout ce qu’il y a de plus classique dans son genre. Amour, séparation, trahisons, réconciliations : MTV Shuga est rythmée par des arcs narratifs dignes de ceux qui ont fait le succès des Hartley, cœurs à vif, Newport Beach et autres Beverly Hills. Mais à y regarder de plus près, la fiction regorge en fait de messages d’éducation sexuelle. Depuis sa naissance en 2009 au Kenya, cette production imaginée par le projet de lutte contre le sida MTV Staying Alive Ignite ! sensibilise les jeunes (15-24 ans) du continent africain à différents thèmes allant de la lutte contre le sida aux violences domestiques en passant par les moyens de contraception. Avec ses six saisons touchant 720 millions de personnes, elle a accompagné de nombreux adolescents dans leur passage à l’âge adulte et rencontré un franc succès jusqu’au Nigeria et à l’Afrique du Sud, où certaines saisons ont également été tournées.
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« À un moment de la série, mon personnage meurt et cet événement a beaucoup marqué le public. Je jouais le rôle de Tsholo, une fille en relation avec un sugar daddy », explique Stephanie Sandows, actrice sud-africaine de 28 ans. Avant de détailler : « Au début, tout se passe bien pour elle, mais au fil du temps, elle va comprendre à ses dépens qu’accepter d’être sous l’emprise d’un homme violent en échange de biens matériels n’est pas une bonne idée… « Dans les locaux de MTV en Afrique du Sud situés à Johannesburg, dans lesquels nous nous rendons en compagnie de l’ONG française Action Santé Mondiale, nous rencontrons quelques-unes des personnes qui travaillent sur MTV Shuga, qui fête ses 10 ans cette année.
« Parfois, des jeunes filles m’écrivent et me demandent des conseils. Hors de l’écran, je suis devenue une ambassadrice des valeurs de la série : je sensibilise les jeunes sur la question des violences sexuelles et des relations toxiques », poursuit Stephanie Sandows, véritable star nationale dont le rôle semble avoir dépassé la fiction. En effet, les relations dites « à bénéfices mutuels » sont monnaie courante en Afrique du Sud. Le fait que la série à succès soutenue par l’organisation Unitaid aborde cette thématique a permis une certaine libération de la parole dans l’opinion publique.
Soft power de la sensibilisation
Une discussion tendue parce qu’une jeune femme découvre que son partenaire n’a pas mis de préservatif lors de leur dernier rapport sexuel, un couple qui procède à un autotest VIH, un garçon qui découvre son homosexualité… Nombreux sont les épisodes à interpeller les jeunes, jusqu’à générer des discussions en famille. « Même les parents jettent un œil à la série ! », assure-t-on chez MTV en Afrique du Sud. À ce titre, le show est un véritable phénomène – d’autant plus que l’actrice oscarisée Lupita Nyong’o a fait ses débuts dans la première saison de Shuga et qu’il y a régulièrement des campos d’artistes (le groupe de hip-hop kenyan P-Unit, la chanteuse nigériane Seyi Shay ou encore le rappeur nigérian Ycee).
Toujours à la pointe de l’actualité de la santé, les nouveaux épisodes révèlent même des scènes d’autotest VIH et ouvrent la discussion sur la PrEP, le traitement consistant à prendre un médicament pour réduire le risque de contracter le VIH. Des campagnes de prévention n’auraient pas la même efficacité. « Soyons honnêtes, ce que le public vient chercher en premier lieu, c’est du drama. Mais ensuite, tant qu’on les tient là assis devant leur écran, on en profite aussi pour leur parler de comportements à risques et leur suggérer de meilleures pratiques », explique Georgia Arnold, productrice de Shuga.
Au-delà des messages de sensibilisation pensés avec des professionnels de la santé, l’objectif de la série est également d’aborder des sujets de société tels que la masculinité toxique et la reconnaissance des droits LGBTQ +. Pour cela, les scénaristes de la série organisent régulièrement des panels avec des jeunes afin de s’assurer que la série ne passe pas à côté de sujets qui les touchent. « La fiction permet de dépasser les tabous de la vie quotidienne. D’un coup, au lieu de parler d’eux-mêmes, les téléspectateurs et téléspectatrices peuvent plutôt évoquer le sort des personnages… mais à travers eux, avoir des discussions qui les concernent dans leur vraie vie à tous et toutes », se réjouit-elle. Tout en reconnaissant qu’il n’est pas toujours possible d’aller plus vite que les législations nationales : « En 2011, au moment de filmer la saison 2 à Nairobi et Malindi, il était question de tourner des scènes de sexe gay. Finalement, on n’a pas pu… » En effet, la Haute Cour du Kenya refuse toujours d’abroger les lois criminalisant l’homosexualité. Pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec le gouvernement, la série a donc préféré parler de coming out plus pudiquement. « C’était important pour nous d’aborder ce thème quand même… », conclut-elle.
Une urgence à faire de la prévention
Pour accompagner la sortie des épisodes, une plateforme en ligne MTV Shuga met en ligne des vidéos et des tutos pour reprendre les messages de santé distillés dans la série. Dans une vidéo, « les 5 étapes de la PrEP », c’est la rappeuse sud-africaine Nadia Nakai aka Bragga qui explique les bases du traitement. Avec cette artiste aux cheveux blonds peroxydés et aux longs ongles flashy, tout est pensé pour que parler de santé soit une démarche auréolée de cool. Et au passage, moins angoissante qu’une campagne de sensibilisation traditionnelle.
En Afrique de l’Ouest et centrale, 54 % des personnes vivant avec le VIH ignorent toujours leur statut, selon les derniers chiffres du programme ONUSIDA. Pour enrayer l’épidémie, il y a une urgence à faire de la prévention et promouvoir le dépistage. En effet, selon les objectifs « 90-90-90 » de l’ONUSIDA, il faudrait pour cela que d’ici 2020, 90 % des personnes séropositives connaissent leur statut, 90 % de ces personnes dépistées positives au VIH soient sous traitement antirétroviral puis que 90 % de ces personnes sous traitement aient une charge virale indétectable.
En attendant, il est donc primordial de s’attaquer à la stigmatisation des personnes séropositives, qui a encore pour effet de dissuader le public de se faire dépister. Nul doute que des séries mythiques comme « MTV Shuga » aide à « démédicaliser » le débat en l’emmenant sur le terrain de la culture populaire. Afin de répliquer son succès en Afrique anglophone, la série MTV Shuga a d’ailleurs commencé à être diffusée cette année en Afrique francophone, avec l’édition ivoirienne intitulée MTV Shuga Babi, dont la première saison met l’accent sur les connaissances de bases à propos du VIH et l’accès aux soins pour les personnes vivant avec le VIH en Côte d’Ivoire.
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