Pour le PC, l’enjeu des élections départementales est historique puisqu’il risque de perdre ses deux ultimes bastions. Reportage dans le Val-de-Marne, à la recherche des derniers communistes.
Le mur de Berlin est tombé mais il règne toujours une atmosphère de guerre froide à Champigny-sur-Marne. “Quarante ans de communisme dans le Val-de-Marne, soixante-dix ans de communisme à Champigny, ça suffit.” Le mot d’ordre est inscrit en lettres capitales sur les tracts distribués par l’UMP ce samedi 7 mars dans l’ancienne ville de Georges Marchais. Dans un costume anthracite légèrement trop large, le candidat de droite Alain Chevalier apostrophe les passants qui traversent le passage piéton coupant l’avenue Roger-Salengro. “Si vous voulez en finir avec la dictature communiste, c’est maintenant ou jamais ! Le communisme, c’est 18 millions de morts !”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quand on l’interroge sur les “mesures staliniennes” prises par la municipalité locale, le candidat montre les crocs : “Ne me provoquez pas ou ça va mal finir ! Bien sûr qu’ils sont staliniens.” Après un temps d’arrêt de quelques secondes, Chevalier embraye par une démonstration qui se veut implacable : “Il suffit de regarder partout autour de vous, il n’y a que du béton.”
« Dans le Val-de-Marne, la majorité a toujours été plurielle”
Sur le trottoir d’en face, loin de l’agressivité de ses adversaires, le sénateur communiste Christian Favier fait campagne avec la bonhomie d’un père de famille. Sous son duffle-coat et sa barbe grisonnante, le président du conseil général du Val-de-Marne est inquiet : “Bien sûr qu’il y a un risque que nous perdions notre département, le scrutin serra serré.” Lors des élections cantonales de 2008, le Parti communiste avait déjà perdu son fief historique de Seine-Saint-Denis. Deux départements demeurent encore provisoirement dans l’escarcelle du PCF : l’Allier et le Val-de-Marne, dernier bastion de la banlieue rouge. Si le Parti communiste fait de la résistance dans ce département où Georges Marchais fut député pendant vingt-quatre ans, c’est qu’il a appris à travailler en bonne intelligence avec d’autres partis de gauche pour faire face à une droite bien ancrée localement.
“Durant longtemps, le PC s’est cru tout seul et gouvernait de manière hégémonique en Seine-Saint-Denis, car il fut une époque où tous les députés de ce département étaient communistes. Mais dans le Val-de-Marne, la pratique politique est différente et la majorité a toujours été plurielle”, rappelle Christian Favier, à la tête d’une liste commune du Front de gauche (FDG) et d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV).
“La concurrence la plus forte pour le PS est celle du FDG »
Les critiques nourries du Front de gauche envers le Parti socialiste au niveau national ont cependant empêché toute alliance au niveau local. Le rejet du PS est tel que dans 13 % des cas, le FDG préfère s’allier à EE-LV, comme à Champigny-sur-Marne. Le sénateur socialiste Luc Carvounas, patron du PS local, fait part de ses griefs : “Je leur ai écrit et j’ai appelé les dirigeants communistes afin de constituer une union de la gauche dès le premier tour, mais je n’ai jamais obtenu de réponses. Le Parti communiste pense pouvoir gagner ce département seul mais prend surtout le risque de le rendre à la droite.”
Ici comme ailleurs, la gauche avancera donc divisée lors du scrutin des 22 et 29 mars. Un pari risqué alors que l’on prédit le basculement à droite de trente à quarante départements. “La concurrence la plus forte pour le Parti socialiste est celle du Front de gauche, qui l’affrontera dans un canton sur deux, observe Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise à l’Ifop. A la différence des élections municipales, où la direction du Parti communiste avait largement joué le jeu de l’union à gauche dès le premier tour, pour les départementales elle a considéré que le prix idéologique pour justifier des candidatures communes serait trop élevé. L’électorat communiste ne l’aurait pas accepté.”
Dans le camp d’en face, à l’inverse, l’anticommunisme sert de ferment pour arracher le Val-de-Marne présidé par des communistes depuis 1976. A Champigny, la liste UMP se présente ainsi comme une “union locale de la droite, du centre, de la gauche moderne, des écologistes et des indépendants”.
« On peut craindre que la gauche ne soit pas présente au second tour »
Parviendront-ils à déloger les communistes de leur citadelle ? A Villejuif, dans l’ouest du département, une liste d’opposition semblable, regroupant l’UMP, les centristes (UDI et Modem), des dissidents socialistes et des écologistes en rupture de ban, a bien fait basculer, lors des municipales de 2014, l’une des capitales de la banlieue rouge après quatre-vingt-neuf ans de communisme. Les militants locaux du PCF ont du mal à s’en remettre. Ce samedi 7 mars à midi, alors que les badauds se bousculent sur la place du marché, les deux candidats communistes ont décidé d’organiser une rencontre publique à quelques encablures de là, en plein quartier populaire, place Maurice-Thorez. Entre deux barres d’immeubles, devant un cubi de vin blanc et quelques gobelets en plastique, Pierre Garzon et Flore Munck prêchent dans le désert.
Une petite dizaine de militants communistes a fait le déplacement. Parmi les quelques barbes poivre et sel et les crânes dégarnis, un vendeur à la criée de L’Humanité dimanche peine à trouver de nouveaux lecteurs. Pierre Garzon ne cache pas son inquiétude : “L’électorat ancré à gauche est démobilisé du fait de la déception phénoménale générée par la politique sociale-libérale de François Hollande. Si l’on ajoute à cela la division qui nous gangrène, on peut craindre que la gauche ne soit pas présente au second tour.”
A tout juste 40 ans, le patron du PCF local connaît ses classiques marxistes. La désaffection du vote communiste dans les classes populaires n’a pas de mystère pour lui : “Quand un jeune à 30 ans n’a pas de travail, qu’il n’a pas bénéficié de cette socialisation, qu’il n’a pas fait l’expérience de la lutte, cela pèse sur la conscience de classe, qui n’est pas innée mais s’acquiert.”
« Les électeurs historiques du PCF sont tombés dans l’abstention”
L’érosion du vote communiste a cependant des raisons plus profondes. “L’assise électorale du PCF a changé, explique David Gouard, chercheur en sciences politiques, auteur de La Banlieue rouge, ceux qui restent et ce qui change (Le Bord de l’eau, 2013). Désormais, son électorat est surtout composé de membres de la fonction publique communale, alors que tous les nouveaux milieux populaires n’ont pas été intégrés à la geste communiste. En parallèle, beaucoup de ses électeurs historiques sont tombés dans l’abstention.”
Au-delà de cette élection, c’est l’avenir du Parti communiste français qui est menacé. Le grand parti de la classe ouvrière qui rassemblait jadis plus d’un électeur sur trois vit un lent déclin. “Le PCF a progressivement perdu tous ses leviers de mobilisation (syndicats ouvriers, associations…) et il subit le contrecoup d’un renouvellement de la population dans les quartiers populaires, estime Stéphane Gatignon, maire de Sevran passé du PC à EE-LV. S’il perd ses deux derniers départements, c’est tout l’équilibre du parti qui est menacé : son siège social, son organisation ou bien encore la Fête de l’Huma. Et au-delà, c’est la fin de l’idée communiste en tant qu’alternative politique. Le communisme municipal devait servir d’exemple à l’échelle du pays. Si le PC perd ses départements après avoir perdu ses villes, il ne sera plus en capacité de projeter cette politique alternative au niveau national.”
En attendant la disparition annoncée du PC, c’est sa mémoire qui est fragilisée. Le maire UMP de Villejuif Franck Le Bohellec a entrepris une véritable “débolchévisation” de la ville en décidant de débaptiser le parvis Georges-Marchais, en prétendant vendre la Bourse du travail où se réunissent les syndicats, ou encore en empêchant socialistes, communistes, CGT et Mouvement pour la paix de déposer une gerbe au pied du monument aux morts lors de la cérémonie officielle commémorant l’armistice.
Le 22 décembre 2014, Olivier Marchais, le fils du leader communiste, a pris la parole lors d’un rassemblement sur le parvis portant le nom de son père. Visiblement ému, le fils de l’ancien secrétaire général communiste semblait anticiper, au-delà de ce symbole brutalement arraché, le signe des débâcles électorales futures : “Vouloir faire disparaître la mémoire d’un homme et, avec lui, la mémoire collective, c’est s’attaquer à l’histoire d’un territoire, celui de la banlieue rouge.”
{"type":"Banniere-Basse"}