Réalisateur avec sa fille Nina de “Cavanna – Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai”, Denis Robert parle de son admiration pour le cofondateur d’“Hara-Kiri” et “Charlie Hebdo”, de leurs héritiers, du film de Diastème, de Julien Coupat et de Podemos.
Pourquoi un film sur Cavanna ?
Denis Robert – D’abord, il n’en existait aucun sur lui. Mon ami Lefred Thouron m’a suggéré cette idée lors d’un déjeuner. L’heure d’après, je donnais un cours dans une école de documentaristes. Quand les élèves m’ont demandé quels étaient mes projets, je leur ai répondu que je voulais faire un film sur Cavanna. Je me suis rendu compte que presque personne ne le connaissait. Ça m’a paru anormal, même incroyable, pour des étudiants en journalisme. J’avais aussi l’intuition que ces gens-là – Cavanna, Choron, Wolinski et toute la clique – étaient plus libres que nous le sommes, et je voulais donner envie aux gens d’aller puiser chez eux quelque chose de l’ordre de la liberté et de l’insolence. Ils ont inventé une forme de presse qui a en grande partie disparu.
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Des héritiers aux journaux “bêtes et méchants” ?
Je pense à CQFD, Zélium, Fluide glacial et, surtout, Siné mensuel, qui s’apparente le plus à ce qu’était l’esprit Charlie Hebdo. Il y a évidemment aussi Charlie Hebdo, qui est un peu meilleur depuis le départ de Philippe Val. Il y a de très bons chroniqueurs, comme Fabrice Nicolino, Laurent Léger, Philippe Lançon. Au niveau des dessinateurs, j’aime bien Catherine, Luz et bien sûr Willem, mais personne n’a remplacé les morts récents, ni les anciens. Il y avait une énergie et une impertinence qui ont disparu. En 1978, en plein débat sur la réédition française de Mein Kampf, Charlie Hebdo avait titré en une “Enfin, on peut le dire : Hitler super sympa”, avec un dessin où Hitler dansait et disait : “Alors les youpins, ça gaze ?” Ça faisait marrer tout le monde à l’époque, à commencer par les Juifs. Tu sors un truc comme ça aujourd’hui, tu vas en prison direct. Ça montre qu’en dépit des apparences, notre société ne jouit pas d’une plus grande liberté. Les religions et la bien-pensance ont gagné du terrain. La liberté est un combat permanent.
Et le Canard enchaîné, qui va avoir bientôt un siècle ?
Oui, mais ils s’encroûtent un peu. Je le lis presque toutes les semaines, mais je m’emmerde de plus en plus. Ils sont assez sectaires au fond, peu enclins au changement. Ils sont assis sur un tas d’or. Ce sont un peu les Picsou du journalisme. Je vais m’en prendre plein la gueule avec cette vanne (rires).
Choron disait que sans Hara-Kiri, il n’y aurait pas eu Mai 68. Tu es d’accord ?
C’est dit brutalement, mais c’est vrai que par son humour, ses affiches, son décalage, Hara-Kiri a débloqué la société française, qui était très puritaine. J’étais gamin, mais je m’en souviens. Serge July le dit également dans son Dictionnaire amoureux du journalisme, et à l’époque il était maoïste. Je pense que la bande d’Hara-Kiri a déverrouillé les cerveaux et a ouvert une brèche qui a mené aux révoltes de 68. Les slogans étaient très hara-kiriens.
Que penses-tu de la frilosité des exploitants qui ont refusé de distribuer le film de Diastème, Un Français, qui raconte le parcours d’un skin des années 80 ?
Le problème, c’est la peur. Cavanna distinguait les cons de naissance et les cons volontaires. Ces derniers sont intelligents mais préfèrent l’ignorer par peur de ce que la raison peut leur faire découvrir, ou par intérêt de boutique. Plus ces cons-là sont nombreux, plus cela provoque une démission collective face à une idéologie montante. C’est ainsi que, craignant de voir débarquer des nervis d’extrême droite, certains ont dû décider de ne pas mettre ce film à l’affiche. C’est de l’autocensure. Cela prouve que notre liberté repose sur des fondations instables.
Que t’inspire le renvoi en correctionnelle de Julien Coupat ?
Je ne comprends pas, surtout pour “terrorisme”. Je pense qu’il fallait que lui et les membres du groupe de Tarnac soient relaxés. Le dossier n’est pas solide. Le procès va être particulier : on les a vraiment persécutés, surveillés, pour les confondre. En vain. La France sarkozyste avait besoin d’exemples. Aujourd’hui, Manuel Valls veut montrer qu’il est intransigeant, que ce soit avec l’extrême droite, l’extrême gauche ou les jihadistes. Mais en les mettant sur un pied d’égalité il se met à dos une partie de la jeunesse, les zadistes, des gens intelligents qui sont capables de faire la différence entre un gauchiste, fut-il ultra, et un terroriste. Quel aveuglement du pouvoir et du parquet…
La percée de Podemos en Espagne, c’est un espoir pour toi ?
Je m’en réjouis. La nouvelle maire de Barcelone est formidable. Elle divise son salaire par cinq, elle a beaucoup d’humilité, alors qu’en France Manuel Valls va en jet payé par le contribuable voir les matches du Barça. Si la droite repasse, ça va être encore pire. Ils n’ont pas compris que ça devenait de plus en plus insupportable pour le peuple, les petites gens. Prenez Sarkozy : qui l’interroge aujourd’hui sur ses piges à 100 000 dollars chez Goldman Sachs ? Ou Laurent Wauquiez, qui finançait son parti chez les traders de Londres. Il faut le dire, le répéter.
Cavanna – Jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai de Nina et Denis Robert
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