Alors que les salariés et les actionnaires de “Libération” bataillent autour de l’avenir du quotidien en grave crise financière, Nicolas Demorand, directeur depuis 2011, a annoncé ce matin sa démission. Une décision qui soulage la rédaction.
Alors que la crise qui mine Libé depuis des mois a éclaté au grand jour samedi dernier, Nicolas Demorand était aux abonnés absents. Il est sorti de son silence ce matin, annonçant concomitamment sa démission dans un mail adressé aux salariés du quotidien et dans un entretien accordé au Monde.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Je prends cette décision parce que j’estime qu’il faut débloquer la situation dans laquelle se trouve Libé, avec un affrontement très clair entre la rédaction et une partie de l’actionnariat”, explique-t-il. Vendredi 7 février, les principaux actionnaires du journal (Bruno Ledoux, Edouard de Rothschild et le groupe italien Ersel) ont dévoilé un plan de développement dont les salariés n’avaient jamais eu connaissance : faire de Libération non plus “un simple éditeur de presse papier” mais un “réseau social”, déménager la rédaction et transformer le siège historique en “espace culturel et de conférence”, “porté par la marque Libération”. Un projet qui a braqué la rédaction contre ses actionnaires et dirigeants.
“Une erreur de casting”
Pour la quasi-totalité des salariés, le départ de Nicolas Demorand est un premier soulagement. “Un verrou vient de sauter, c’est une nouvelle page qui s’ouvre”, confie Alexandra Schwartzbrod, directrice adjointe de la rédaction. Depuis son arrivée à la tête de Libé en mars 2011, Nicolas Demorand, très contesté, a fait l’objet de trois motions de défiance, dont la dernière a été votée à près de 90 %, comme le rappellent les salariés dans un communiqué : “Les salariés de Libération prennent acte de la démission de Nicolas Demorand, une issue logique au vu de la motion de défiance adoptée à 89,9 % lors d’un vote le 26 novembre 2013. Ce vote et cette annonce entérinent son manque d’implication dans le journal au quotidien et dans l’élaboration d’un projet éditorial.”
Alexandra Schwartzbrod ajoute : “Il aurait dû prendre cette décision depuis un moment. Trois fois l’équipe a demandé son départ, trois fois on lui a dit ‘on ne veut pas travailler avec toi’. Nicolas, c’est une erreur de casting : il est brillant derrière un micro, mais il n’était pas fait pour ce job, pas fait pour le collectif. Il n’était presque jamais là, le journal était en roue libre.”
Dans son entretien au Monde, l’ex-anchorman de la matinale d’Inter, évoque une censure : “J’ai décidé de ne pas retourner à Libération depuis qu’en assemblée générale, vendredi dernier, une majorité de journalistes a décidé de censurer un de mes textes qui défendait l’impérieuse nécessité de se battre pour un Libé fort. Dès lors, la messe était dite.”
Alexandra Schwartzbrod veut bien lui concéder ce point : “On peut considérer ça comme ça. Nous avons décidé de ne pas passer ce texte, qu’il nous a envoyé au dernier moment, parce que nous avons estimé qu’il avait suffisamment eu droit à la parole.”
Quel avenir pour Libé ?
Le départ de Nicolas Demorand devrait permettre de faciliter le dialogue entre la rédaction et ses actionnaires, mais ne règle pas la crise financière qui frappe un quotidien exsangue, bientôt à court de trésorerie. Pour Willy Le Devin, journaliste et délégué du personnel (Sud), deux chantiers doivent maintenant s’ouvrir : “Celui de la recapitalisation du journal et la recherche d’un projet éditorial pertinent.”
Il ajoute : “L’équipe est mobilisée pour construire un nouveau Libé, un projet qui soit le nôtre, dans lequel le journalisme aura toute sa place. Pas le projet des actionnaires qui est celui de l’embourgeoisement et de l’entre-soi.” Les représentants du personnel et les actionnaires se rencontreront la semaine prochaine lors d’un conseil de surveillance. La démission de Nicolas Demorand pose aussi la question de l’avenir de ses proches, en particulier des deux codirigeants François Moulias et Philippe Nicolas, ainsi que du directeur adjoint de la rédaction Sylvain Bourmeau.
“Dès lors qu’ils ont soutenu le projet des actionnaires, la question de leur départ se pose légitimement, estime Willy Le Devin. Pour l’instant, on ne sait même pas où est Philippe Nicolas. Sylvain Bourmeau est là, dans son bureau, enfermé dans sa cage de verre, où il passe 95 % de son temps. Autant dire que l’ambiance est très spéciale”, témoigne le journaliste.
Cet après-midi, les salariés se réuniront par ailleurs en assemblée générale pour discuter de la stratégie de communication. Depuis lundi, le quotidien consacre ses dernières pages à l’explication de la situation au sein du journal. “Mais on ne veut pas sombrer dans l’égocentrisme, explique Willy Le Devin. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir parler de son plan social dans ses propres pages.”
{"type":"Banniere-Basse"}