Alors que la dernière caution de gauche du gouvernement, Christine Taubira, a quitté hier son poste de Garde des Sceaux, comment envisager la fin du quinquennat Hollande ? Christophe Bouillaud, professeur de science politique à l’Institut d’Études politiques de Grenoble, a répondu à nos questions.
La démission de Christiane Taubira consacre-t-elle la droitisation du gouvernement Valls ?
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Christophe Bouillaud – Oui. A mesure que les ministres passent, il ne reste dans le gouvernement plus que l’aile droite du parti socialiste. Les écologistes ont démissionné en mars 2014, suivis par les frondeurs Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti en août 2014. Maintenant, c’est au tour de Christiane Taubira.
Qu’est-ce qui distingue le gouvernement Valls de la droite modérée ?
Pour l’instant, tous les ministres sont socialistes ou proches du Parti socialiste (PS). Contrairement au quinquennat Sarkozy, il n’y a pas de ministre d’ouverture, à l’image de l’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui était issu du PS. Par contre, beaucoup d’orientations politiques du gouvernement Valls se rapprochent de celles d’un gouvernement de droite modérée.
La démission de Christiane Taubira entérine-t-elle la fracture entre la gauche gouvernementale et l’autre gauche ?
Cette fracture existait déjà, mais sa démission ne fait que l’accentuer. Toutefois, son départ arrive un peu après la bataille, dans la mesure où la plupart des militants et des politiques de la gauche non gouvernementale avaient déjà compris depuis fort longtemps qu’ils ne pouvaient pas compter sur François Hollande.
L’économiste Pierre Larrouturou a ainsi créé le parti Nouvelle Donne en novembre 2013 pour proposer une offre alternative à gauche, tandis que d’ex-militants PS se sont regroupés autour du parti de la Nouvelle gauche socialiste (NGS), partenaire du Parti de gauche et d’Europe Ecologie-Les Verts.
Le PS n’est plus synonyme d’une politique socialiste ?
Il faut distinguer la direction actuelle du Parti socialiste (PS) de l’ensemble du parti et de ses militants. Du point de vue de la direction du PS – soit le triumvirat Hollande-Valls-Cambadélis – il ne faut pas s’attendre à une politique socialiste. Mais l’ensemble du PS n’est pas concerné, puisque des personnalités socialistes ont fait entendre leurs désaccords, comme la maire de Lille Martine Aubry qui a plaidé l’année dernière pour une réorientation de la politique économique du gouvernement.
La démission de Christiane Taubira est-elle un cadeau offert à la droite et à l’extrême-droite, fervents critiques de l’ex-ministre ?
Oui, c’est une victoire pour la droite, puisque Hollande va bien opter pour la déchéance de nationalité pour les binationaux, soit pour une option plébiscitée par la droite. C’est d’ailleurs la raison de la démission de Christiane Taubira, qui a essayé jusqu’au dernier moment d’infléchir la position du Président.
Christiane Taubira s’était déjà opposée à d’autres réformes gouvernementales, comme la loi sur le renseignement. A-t-elle trop tardé à démissionner?
Je ne pense pas. Le cas de la déchéance de la nationalité est différent de celui de la loi sur le renseignement. Alors que la loi sur le renseignement était défendue par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, c’est Christiane Taubira qui devait, en tant que Garde des Sceaux, défendre la réforme constitutionnelle et donc la déchéance de nationalité. Elle a décidé de démissionner car elle ne pouvait pas décemment présenter devant l’Assemblée nationale une réforme constitutionnelle qu’elle avait tant critiqué auparavant. Même si Manuel Valls avait soutenu qu’il allait présenter lui-même au Parlement cette réforme, cette situation était tout-à-fait anormale.
La démission de Christiane Taubira marque-t-elle la fin des couacs gouvernementaux ?
Non, les erreurs de gestion de ce gouvernement vont perdurer. Ce n’est pas parce qu’une personne part que la méthode du gouvernement va changer.
Le successeur de Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas, est un proche de Valls et a été rapporteur de la loi sur le renseignement. Sa nomination entérine-t-elle la ligne sécuritaire adoptée par le gouvernement Valls ?
Oui, c’est le signal qu’Hollande n’abdiquera pas sur cette réforme constitutionnelle et sur la déchéance de nationalité. Il a décidé de s’y tenir jusqu’au bout.
Désormais, il n’y a plus aucune femme à la tête d’un ministère régalien, une première depuis 1997. Qu’en pensez-vous ?
Les Français veulent avant tout des résultats économiques et sociaux, ou des résultats sécuritaires. Ils n’ont aucun intérêt pour le nom du ministre, qu’ils ne connaissent pas en général. Contrairement aux affaires de sécurité, les affaires de justice intéressent très peu les Français.
Qu’est-ce que la démission de Christiane Taubira va changer pour François Hollande ?
Son départ perpétue la dissolution de la coalition de gauche qui avait porté François Hollande au pouvoir en 2012. François Hollande a désormais une base politique très réduite. Il va s’en apercevoir au premier tour des élections présidentielles en 2017.
Alors que la gauche du PS se désole de la démission de Taubira, sa démission complique-t-elle l’adoption de la réforme constitutionnelle ?
Non, sa démission clarifie les choses. Il y a désormais deux camps : les socialistes qui soutiendront jusqu’au bout François Hollande, et les autres. La démission de Taubira ne changera rien. Désormais, les socialistes ont un problème de conscience et seuls ceux qui veulent faire carrière vont voter la réforme constitutionnelle.
Toutefois, les socialistes qui voteront selon leurs convictions en s’opposant à cette réforme peuvent aussi faire un pari sur l’avenir. Ils seront sans doute ceux qui vont reconstruire les valeurs socialistes à partir de 2017, car après Hollande, il faudra être de nouveau socialiste, si j’ose dire. Les parlementaires PS doivent donc faire un calcul politique : faut-il encore miser sur Hollande ou bien l’abandonner à son sort ? Quel choix est le plus rentable politiquement ?
En acceptant la démission de Christiane Taubira et en campant sur ses positions quant à la déchéance de nationalité, Hollande cherche-t-il sa réélection ?
Oui. Il pense qu’il va assurer sa réélection au centre, voire à droite. Il décide de s’affirmer comme un candidat crédible du point de vue de la sécurité et suit la droitisation des opinions qui a suivi les attentats. Mais à mon avis, il lit un peu trop les sondages. C’est un pari risqué, qui lui fait aussi perdre les électeurs de gauche, qui l’ont élu en 2012.
Bien qu’il dispose déjà de moyens grâce à son poste de Président, il aura beaucoup de mal à trouver des militants pour sa campagne présidentielle de 2017. Le Parti socialiste est un parti qui fond à vue d’œil. Au Congrès de Poitiers en mai 2014, seuls 65 000 militants se sont rendus aux urnes pour choisir le Premier secrétaire du PS, alors que le PS comptait plus de 250 000 militants en 2007. Le Parti socialiste sera encore en plus mauvais état en 2017 et aucun parti ne viendra à son secours.
Propos recueillis par Gaëlle Lebourg
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