« Ecrire cette chronique, en tout cas, ne sert sûrement à rien. Mais il est des circonstances dans lesquelles la question de l’utilité de ce que l’on fait devient indécente. » Le ton est donné. Fataliste, alarmiste, mais lucide. Près d’une semaine après les actes racistes et islamophobes survenus à Ajaccio, l’écrivain Jérome Ferrari, né de parents corses, s’est exprimé dans le quotidien Corse-Matin. Le titre de sa tribune, publié le 31 décembre : « Au-delà de la haine, rien ! ». Le lauréat du prix Goncourt 2012 pour « Le sermon sur la chute de Rome » s’y désole de devoir se désolidariser d’actes commis par une extrême minorité :
« Nous sommes pris au piège d’une injonction venue du Continent qui nous somme de réagir. Ne pas y répondre, c’est confirmer que nous sommes un peuple raciste ; y répondre, c’est avouer que nous avons des raisons de nous sentir coupables – et il est assez remarquable que ce problème soit, au moins formellement, très similaire à celui qui se pose aux Musulmans depuis les attentats de janvier »
Ancien professeur de philosophie au lycée Fesch à Ajaccio, Jérôme Ferrari s’en prend notamment à l’éditorialiste du L’Express, Christopher Barbier, et « à ses semblables, qui ne méritent que notre mépris (…). Personne n’a à jouer le rôle du Corse ou de l’Arabe de service dans les médias ».
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« Au-delà de la haine, il n’y a rien qu’un vide abyssal »
Celui qui fut le premier écrivain corse à obtenir la plus haute distinction littéraire française a ressenti un sentiment de « honte collective » à la vue des vidéos diffusés en boucle sur internet et à la télévision. Et au son des insultes qui fusaient, tels que “on est chez nous” ou “Arabi fora” (les Arabes dehors, en corse ndlr).
« Les mouvements de foule sont toujours ignobles. Le spectacle de la jubilation grégaire est en soi répugnant. Apparemment, si j’en crois les vidéos, rien n’est plus délectable que de se laisser aller en groupe à une pulsion de lynchage qu’on voudrait faire passer pour une soif de justice. »
Cinglant, Jérome Ferrari explique que les « courageux manifestants » ont saisi l’opportunité de céder à la haine, latente depuis quelques mois sur les réseaux sociaux. Avant de les comparer à d’autres manifestants extrémistes, qu’ils viennent d’Allemagne et du mouvement Pegida, de Hongrie et de son Premier ministre érigeur de murs Viktor Orban ou de « leurs frères du Front National ».
Le grand perdant dans tout cela ? C’est « la pensée » selon l’écrivain. « Quand le langage se met à puer aussi fort, cela signifie qu’il est mort. Il a bon espoir cependant que les nouveaux élus nationalistes au conseil régional ne tombent pas dans les griffes des « groupuscules manifestement racistes », qui essaient de les récupérer.
Ses derniers mots reviennent à Christophe Mirmand, le préfet de Corse. Il interroge l’application des assignations à résidence, autorisées par l’état d’urgence instauré à la suite des attentats de novembre. » Alors qu’on peut être assigné à résidence pour ses convictions écologistes ou une fréquentation un peu trop assidue de la mosquée, on ne risque apparemment rien à partir en bande à la chasse à l’Arabe.«