Où l’on peut aussi passer une soirée à déambuler dans le XXe arrondissement à la recherche de n’importe quoi sauf de groupes de musique.
Si on avait tiré à la courte paille le journaliste des Inrocks le plus inculte en musique pour savoir qui allait se coller ce reportage, j’aurais gagné haut la main. Même Arnaud Aubron, dont les goûts musicaux laissent à désirer une balle dans la tête, m’a regardée avec compassion quand je lui ai avoué que j’écoutais Rage against the machine le matin en venant au travail, en 2012. Sur la base du volontariat, nous n’avons tiré aucune paille et j’ai enfilé mes Converse noires et rouges pour aller me promener dans le XXe arrondissement (le préféré des Inrocks) pendant la Fête de la musique, malgré un lourd handicap lié à une pharyngite. Par ailleurs incapable de reconnaître une quelconque chanson connue, ça s’annonçait bien.
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20h50, métro Alexandre Dumas. A la faveur d’une grosse montée de Nureflex, je remonte la rue de Bagnolet dans laquelle se croisent des hommes munis de guitare qui ressemblent tous à Pierre Siankowski. Arrive un individu patibulaire sans guitare mais avec une bière, juste en face. Il entreprend de bloquer le trottoir, les bras écartés, dans le but de me faire un câlin. Un coup de coude dans le thorax a rendu ce reportage possible malgré une première embûche. Au Bar de la Réunion, de vieux hommes chantent du blues avec un talent indéterminé – compte tenu de cette absence totale de culture musicale sus-citée que vous devez toujours garder en tête au fil de votre lecture. L’heure pas encore tardive autorise la présence d’enfants joyeux sur le trottoir, la tête dans les amplis. Un peu plus haut, dans un restaurant, deux femmes chantent très faux avec beaucoup de conviction et ponctuent le massacre par “wouhou”.
21h, rue Saint-Blaise. Sur la petite place séparant les bobos du début de la rue des pauvres des HLM du bout de la rue, l’antenne locale du Parti communiste français accueille un concert engagé. Un groupe comprenant un harmonica se la donne devant une affiche de Didier Le Reste. Comme Noir Désir (dans ma bouche c’est un compliment), ils chouinent des paroles tristes seulement compréhensibles par bribes telles que : “vivre au présent”, “en suivant mon chemin”, “dans le froid du matin”. “La prochaine chanson parle d’un camp de rapatriés d’Indochine dans le Sud-ouest, je viens pas loin de là.” Noir Désir on te dit. On va jeter un œil sur les HLM du bout de la rue où traînent chaque jour des jeunes qui pourraient jouer dans The Wire. Ben ils sont là, tout va bien.
21h15, rue des Pyrénées. Sur le seuil d’une épicerie fine, des adolescents reprennent Hotel California (enfin un titre que je peux identifier). Ils ne jouent pas du tout comme dans le disque, mais leurs parents et leurs frères et sœurs ont l’air de bien kiffer. Ils sursautent quand l’un des gamins laisse tomber sa basse par terre en raison d’une sangle mal fixée. Miracle, quand il la reprend, rien n’est cassé, il joue toujours aussi faux.
21h23, devant la caserne des pompiers. Trois dames d’une cinquantaine d’années en goguette draguent deux pompiers d’une vingt-cinquaine d’années impassibles.
21h30, rue des Grands-Champs. Des Noirs interprètent des cantiques à l’église adventiste du Septième jour. Une jeune femme au sourire trop déployé pour être complètement saine d’esprit me serre la main et me fait des avances religieuses. “Vous êtes du quartier? Vous connaissez l’église? Il y a un culte samedi matin si vous voulez passer.” Adieu madame laissez mon culte tranquille.
21h45, rue de Buzenval. Cinq “correspondants de nuit de la mairie de Paris” miment les gestes d’une bagarre qui vient sans doute d’avoir lieu pendant qu’on traînait chez les adventistes.
22h, place de la Réunion. De nombreux enfants jouent au foot, à la trottinette, à se courir après et à se marave pour de faux pendant qu’un groupe vaguement caribéen gratouille. C’est le meilleur endroit de la soirée : presque pas de musique, des vendeurs de bière clandestins, des Sénégalaises qui dansent et des vieux assis autour de la fontaine. LA VIE. En descendant la rue Alexandre Dumas on croise une fanfare devant le bar La joie du peuple (un excellent bar). La fanfare envoie du bois, du cuivre et des merguez sur un stand où la Kro coûte 2 euros.
22h10, boulevard de Charonne. Au “96”, bar-annexe de la CNT-Vignoles, deux chiens se baladent sans maître ni Dieu pendant que des groupes de punk satisfont un public familier. De temps à autre des gens crient “eeeeuuuuuuuh” en brandissant le doigt gauche.
22h30 : seule dans la station de métro Philippe Auguste. Parenthèse : j’ai grandi dans une ville où tout est au même endroit, surtout les bars, puisque de toute façon il n’y a qu’une rue. A ce stade de la soirée, je me souviens que le XXe arrondissement mesure un certain nombre de kilomètres carrés et que je n’aurais pas dû laisser mon vélo dans la salle verte des Inrockuptibles. Que veux-tu. Et le métro n’est pas du tout gratuit pour la Fête de la musique, j’ai dû confondre avec le Premier de l’an. Des étudiants juvéniles chargés de bière débarquent dans la station. Une fille de la bande descend sur les voies par le petit escalier de service pour y faire pipi sans mourir, ce en quoi nous la remercions bien.
23h, place Gambetta. Quelques trucs sans intérêt dans les rues alentour, un peu de salsa, un peu de ska, tout ça. Devant la mairie du XXe, une grosse scène accueille des groupes de hip-hop du XXe (en toute logique). Le rappeur Rabah déprime tout le monde en racontant “le regroupement familial” d’Algérie “à 6 dans 18m2”. H-Magnum, une grosse reusta locale, débarque en terrain conquis pendant que les voitures de flics s’agglutinent autour du rond-point (il commence à se faire tard). Avec lui, la masse de riverains reprennent en cœur : “Sept-cinq, sept-cinq, sept-cinq” (version intra-muros du neuf-trois) puis “Soixante-quinze-zéro-vingt, soixante-quinze-zéro-vingt”. Paris est magique t’as vu.
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