Le scoop de l’émission Sept à huit, ce dimanche sur TF1, n’en finit pas de provoquer la polémique. Montés sur des images animées, des extraits de la conversation enregistrée entre les policiers et Mohamed Merah, lors du siège de son appartement les 21 et 22 mars 2012, ont été diffusés par la chaîne. En tout, une […]
Le scoop de l’émission Sept à huit, ce dimanche sur TF1, n’en finit pas de provoquer la polémique. Montés sur des images animées, des extraits de la conversation enregistrée entre les policiers et Mohamed Merah, lors du siège de son appartement les 21 et 22 mars 2012, ont été diffusés par la chaîne. En tout, une dizaine de minutes sur les quatre heures et demi de négociation qu’assure détenir la production.
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Le choix de diffuser cette conversation a scandalisé certains proches des sept victimes assassinées à Montauban et Toulouse par le « tueur au scooter ». Manuel Valls « regrette » également cette diffusion. Le ministre de l’Intérieur a demandé au parquet de Paris d’ouvrir une enquête préliminaire pour violation du secret de l’instruction. Une investigation qui sera diligentée par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices.
Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), Michel Boyon, a quant à lui menacé le groupe TF1 de sanctions. Il a indiqué avoir téléphoné, dès dimanche soir, « à tous les dirigeants de chaînes de radio et de télévision pour leur demander instamment de ne pas diffuser ces images« .
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Outre le son de la voix de Merah, son accent toulousain et le « t’as vu » qui revient en permanence, le contenu de ces extraits, complété par d’autres publiés dans le Monde ce lundi, permet de préciser certains points de l’affaire et de poser de nouvelles questions, sans pour autant entraîner de lecture fondamentalement différente des faits.
1) Un « loup solitaire » mais formé par Al Qaeda
Dans un entretien au Monde le 23 mars, Bernard Squarcini avait un peu rapidement avancé la thèse – la plus dédouanante pour ses services – du « loup solitaire ». Un reportage de Complément d’enquête diffusé sur France 2 démontrait déjà que la radicalisation de Merah ne se serait pas uniquement effectuée sur Internet mais également entre l’Afghanistan et le Pakistan, dans un réseau affilié à Al-Qaeda.
Lors du siège de son appartement, Merah décrit à son interlocuteur son séjour au Pakistan. Il rappelle sa volonté d’être entrainé aux armes plutôt que d’apprendre la fabrication de bombes puisque les produits nécessaires pour ces dernières « sont assez surveillés en France« . Exactement comme le décrivait le communiqué de l’organisation pakistanaise Jund al-Khilafah (les soldats du Califat).
Le texte avait été publié le 22 mars, le lendemain de la mort de Merah, sur le site Shamikh, qui diffuse généralement des communiqués d’Al-Qaeda. Le groupe revendiquait l’entrainement d’un certain « Youssef le français » plus amateur d’armes que d’explosifs.
2) Des doutes sur de possibles liens avec la DCRI
Quand Bernard Squarcini rapportait les propos de Mohamed Merah envers son correspondant à la DCRI, ça donnait ça :
« De toute façon, je devais t’appeler pour te dire que j’avais des tuyaux à te donner, mais en fait, j’allais te fumer.«
Dans les enregistrements, c’est beaucoup plus précis.
– « Même, tu veux que je te dises une chose Hassan
– Ah j’espère que tu m’avais pas ciblé quand même
– Crois moi que je t’avais ciblé Hassan. Crois moi que Allah, il a fait que ce n’est pas moi qui sera la cause de ta mort ou peut être que ce sera quelqu’un d’autre ou peut être que tu mourras d’une autre façon t’as vu. Mais mon but c’était de t’appeler, de te dire que j’avais le nom, tout ça. Te le donner, te faire un travail pour que tu viennes à moi, et t’en aurais pris une en pleine tête.«
« Hassan » est le policier de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) que Mohamed Merah avait déjà rencontré le 14 novembre 2011 et qui lui parle alors au téléphone. Dans cet extrait, Merah ne parle pas vaguement de « tuyaux à donner ». Il précise sa stratégie: « Te dire que j’avais le nom« , sous entendu possible : le nom que tu m’avais déjà demandé auparavant.
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Une précision qui met encore une fois en doute les déclarations que Bernard Squarcini avait faites à l’AFP, indiquant que Merah n’était « ni un indic de la DCRI, ni d’autres services français ou étrangers« . Déjà Yves Bonnet, ex-patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), expliquait à La Dépêche du Midi :
« Ce qui interpelle, quand même, c’est qu’il était connu de la DCRI non pas spécialement parce qu’il était islamiste, mais parce qu’il avait un correspondant au renseignement intérieur. Or avoir un correspondant, ce n’est pas tout à fait innocent. »
3) Sous couverture
« Al Harbe Khoudaa, tu sais ce que ça veut dire ? » demande Merah à son interlocuteur
– « Eh vas-y, développe », lui rétorque-t-il
– « Ça veut dire « la guerre est une ruse ».«
Pour parfaire sa couverture, Merah explique qu’il allait en boîte de nuit, s’habillait « d’une certaine façon qui montre que j’ai pas le profil de quelqu’un qui fait partie d’Al-Qaeda« . Il évoque sa « vraie coupe fashion » avec « une crête, les cheveux longs en arrière, dégradé espagnol sur le côté, tribal« .
Même Hizia, la jeune femme qu’il avait épousé religieusement en décembre 2011, s’étonnait parfois que son mari ne fréquente pas la mosquée. Pas de barbe de croyant ni de robe de prière, Merah portait constamment des jeans et des baskets New Balance.
4) Voyage « touristique » au Pakistan
Merah ne loupe pas une occasion de fanfaronner et d’apostropher Hassan:
« Tu crois que je vais faire du tourisme au Pakistan et en Afghanistan ? Qui t’as vu faire du tourisme dans ces pays-là ? (…) Ça, je crois que c’est une des plus grandes erreurs de ta carrière hein.«
Le Monde, qui affirme aujourd’hui également avoir eu accès à des portions des enregistrements réalisés par les policiers, a choisi de ne pas les diffuser en version audio (tout comme le site des Inrocks). Après écoute, le quotidien juge que « c’est peu dire » que le Toulousain a déjoué les services de renseignements. Les journalistes citent à l’appui un extrait non entendu dans l’émission Sept à huit :
« Je me suis fait arrêter par les juifs en Israël, par les militaires irakiens à Mossoul, par les soldats algériens dans les montagnes de Boumerdès [à 45km à l’Est d’Alger] ou des montagnes collées à la région de la Kabylie où il y a tous les frères qui opèrent. Je me suis fait arrêter en Afghanistan. (…) Vous vous êtes complètement loupés, parce que j’ai pu faire trois attaques, tuer plus de sept personnes et en blesser plusieurs. »
5) Se rendre… ou pas
Au début des négociations, son interlocuteur lui demande :
« Maintenant qu’est-ce que tu veux faire ? »
« Je sais pas, j’ai envie de me rendre, mais voilà, c’est flou.«
Un peu plus tard, il précisera qu’il a des canettes énergisantes de Burn et de Red Bull pour tenir. « J’ai juste le micro-ondes qui, je crois, ne va plus fonctionner parce que c’est une passoire maintenant« , ironise-t-il alors que l’appareil est criblé de balles.
Puis, sur la fin, il annonce qu’il a décidé de ne plus se rendre. « Je peux pas, wallah, je peux pas. » Hassan tente de le persuader :
« Non non, tes contradictions j’y crois pas (…) On a monté le dispositif, on s’est engagés auprès des autorités, voilà.«
Un policier prend le talkie walkie d’Hassan pour demander à « Mohamed » si « quelque chose (te) dérange dans tout le processus ? »
« J’ai réfléchi (…) Au fond de moi je savais que j’allais pas me rendre, t’as vu (…) Depuis ce matin, quand je vous ai demandé du temps, c’était surtout pour reprendre de l’énergie parce que j’avais pas dormi, j’étais très fatigué.«
Maintenant, il se dit requinqué et « prêt à un éventuel affrontement« .
Geoffrey Le Guilcher
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