Sur YouTube, Mister JDay décrypte tout, des pitreries de Black M aux prestations de Mélenchon.
Verre de Coca au bout des lèvres, ton grave, regard amusé, barbe brune à la tessiture hipster, Mister JDay est, comme le dirait François Morel, un « jeune kinenveut« . Une phrase après l’autre, il nous balade, ludique, entre blagues complices, curiosité intellectuelle et lucidité. Soit l’équation qu’il perpétue depuis six ans maintenant au gré de ses vidéos. Dans sa dernière en date, il analyse durant soixante-dix minutes « les politiques sur YouTube« . Au fil d’un top cent, vous apprendrez qu’Hervé Mariton fédère autant qu’un podcaster débutant, que le Front National égale Squeezie en terme d’abonnés, que les Vlogs de Nathalie Kosciusko-Morizet laissent à désirer et qu’Emmanuel Macron n’arrive pas à la cheville d’Enjoy Phoenix.
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En tête du classement ? Jean-Luc Mélenchon et sa « première chaîne politique du pays » (plus de 135 000 abonnés). Ennemi numéro un de la fachosphère auprès des 18-34 ans et lecteur assidu de commentaires, « Méluche » n’est pas, nous précise Mister JDay, exempt de défauts (« lorsqu’il évoque le « secret de son swag, il fait dans le forcage« ) mais est le seul homo politicus à « s’intéresser sincèrement à ce qu’est YouTube, à ouvrir le dialogue au plus grand nombre« . Mais Mister JDay n’a pas attendu d’être remercié dans la Revue de la Semaine de « JLM » – ou invité à débattre sur le plateau d’Arrêts sur Images – pour militer. A sa manière. Drôle d’enfant du web, cet inlassable esprit critique glisse sans complexe de JUL à Jean-Marie Le Pen, de Nadine Morano à M Pokora.
"Mélenchon a explosé l'extrême droite sur Youtube" : @RaquelGarridoPG, @MisterJDay et @JeanMassiet sur notre plateau https://t.co/9KGf7EXQIB pic.twitter.com/VyQQVckYP6
— Arrêt sur images (@arretsurimages) December 16, 2016
De Culture Pub à Culture Tube
Zoneur du net dès 2005, natif de Dailymotion exilé sur YouTube en 2010, cet ex troll du forum 15-18 de jeuxvidéo.com commence par éparpiller quelques délires « entre potes, à la Jackass » sur la toile avant d’affûter son style. A l’instar du provocateur Ganesh2, guest par intermittence de ses chroniques, Mister JDay remue la politique à coups de parodies pop, mixant Mika et les présidentielles 2012, Valérie Trierweller et Max Boublil, Sexion d’Assaut et Sarkozy (« et même quand tout le monde est contre toi, tu as toujours Carla Bruni« ). Mais son vrai champ d’études se trouve plutôt du côté des playlists et des megastores. Très vite, le jeune homme se décide à passer au peigne fin les clips les plus ridicules des artistes les plus mainstream – de Yannick Noah à TAL, de Jenifer à Kendji Girac. Au fil des années, le podcasteur revendique se préférence pour les multiplexes du rap : La Fouine, Maître Gims, Black M, Booba.
Mais JDay n’est pas un succédané de LinksTheSun ou Seb la Frite, mélomanes caustiques auxquels on le compare (trop) souvent. Via la vanne, l’érudit initie son audience à la mise en scène, aux faux raccords, et surtout…aux placements de produits. Un intérêt pour le marketing qui lui vient de 99 Francs et qu’il exporte à travers ses Analyses de pubs, épinglant le Crédit Agricole ou Mutuel, le sexisme ordinaire et la symbolique du medium publicitaire. Le tout ponctué des saillies acerbes de Mr Connard, antagoniste-sniper « filmé derrière sa caméra, comme Laurent Baffie dans Lunettes noires pour nuits blanches ». En creusant le concept d’impact mémoriel (souvenez-vous du slogan réitéré ad lib dans la pub Mercurochrome), le vidéaste-citoyen invite son public à prendre du recul face à la boîte à images. Sans ce recul, impossible d’ailleurs d’être (un bon) youtubeur, nous affirme-t-il entre deux gorgées :
« Dans les clips, les placements de produits se voient, ils cassent la diégèse. Mais sur le web, on ne trouve pas le sigle imposé par le CSA qui les indique. Lorsque l’on créé sur YouTube, c’est une pilule qu’il faut faire avaler le mieux possible, quitte à le faire passer pour ce qu’il n’est pas, avec autodérision la plupart du temps. Moi, je crois que nous devons conserver notre éthique. Si tu acceptes ces placements, il ne faut pas avoir peur d’avouer que tu veux t’enrichir. Nous devons être transparent à l’égard d’un public très jeune, qui ne possède pas forcément la perspicacité nécessaire pour détecter ces détails. »
Sa déontologie du youtubeur, Mister JDay la déploie au sein d’une série-somme : Culture Tube. Un must have pour les béotiens de la plateforme.
Entre « Le Petit Journal » et Usul
Les aficionados de la petite lucarne se souviennent de Culture Pub, cette émission culte diffusée de 1989 à 2005 sur la sixième chaîne. Si Mister JDay entremêle rigueur (critique) et rire (ironique) à l’instar de la perle du PAF, sa Culture Tube s’en inspire simplement pour « le jeu de mots » et s’inscrit dans une autre veine : celle du fact-checking chiffré, entrecoupé d’apartés incongrus. Bref, « un mix entre Data Gueule pour le contenu, Le Petit Journal pour l’infotainment et Les deux minutes du peuple pour l’humour« . Son mentor ? Usul, le barbu à la pipe qui dans son 3615 adaptait la sociologie de Pierre Bourdieu au gaming, avant d’intégrer Médiapart.
Avec bienveillance, le vidéaste tourne en dérision les cas d’école du YouTube français, entre amateurs peu inspirés, vulgarisateurs, « rageux » et addicts du clic. La plateforme apparaît en société à part entière, façonnée selon des clichés, des impératifs et des codes.
« YouTube possède une ligne directrice : la plupart des utilisateurs font des Tops, des vlogs, demandent de s’abonner, exigent des pouces bleus. C’est important de caricaturer ce système qui l’est déjà un peu, car c’est la meilleure façon de le remettre en question. Puisque dans dix ans Youtube aura totalement évolué, on se doit d’immortaliser les pratiques. »
La dictature du pouce vers le haut
Sans sombrer dans le clash, Mister JDay dénonce. La surdité de la télévision envers ce « média de demain« , l’invasion des plagiats, les intentions mercantiles de certains. Surtout, il fustige le Content ID, ce programme qui analyse les contenus des vidéos mises en ligne sur Youtube et les comparent aux données envoyées par les « grosses machines » (Warner, Sony, etc). Un robot qui estime les ayant-droits mais ignore le droit à la satire, avertit, bloque et démonétise à tout va, « quitte à décourager les plus petits youtubeurs« . Ou quand la censure s’immisce dans les replis d’un réseau social. « Si l’usage d’extraits continue à être condamné malgré le droit à la citation, les gens se contenteront de podcasts sur les lave-vaisselles, or la liberté de formats et de contenus a toujours été fondamentale pour les vidéastes« , déplore-t-il.
Mister JDay défend la culture Tube mais ne l’idéalise jamais. Amer, il évoque ces « ‘youtubeurs qui font du pouce bleu baiting« , soucieux d’exploiter à leur avantage l’algorithme YouTube, outil de suggestion qui attribue une visibilité aux créateurs selon leur taux de like. Une « dictature du pouce vers le haut » qui nivelle par le bas. « Si à cause des pouces rouges l’algorithme dévalorise la visibilité d’un contenu, n’importe quelle opinion négative peut être fusillée a priori » nous prévient celui qui en a déjà fait les frais en ridiculisant le rappeur JUL. A croire qu’être exigeant sur YouTube, ce n’est plus très sexy.
« Ma question n’est plus : comment gagner de l’argent sur YouTube ?…mais : comment ne pas en perdre ? Je vis sous le seuil de pauvreté car je n’ai pas envie de produire douze vidéos de dix minutes par mois. Or, la minorité visible de ton public – celle qui commente le plus – pense qu’une vidéo en ligne par semaine, c’est normal. Ils croient que la création sur YouTube, c’est du consommable, du McDonalds. Cette logique de rendement propre à la télévision se perpétue à cause de l’algorithme. Au risque d’instaurer une forme de dépendance psychologique »
Preuve en est que derrière son second degré, le créateur a du mal à renier son « éthique« . Travailler plus pour gagner plus ? Autant produire moins et faire mieux. En témoigne Mélenchon « l’acteur d’une bataille de communication qui se jouera sur YouTube en 2017« , mais surtout, dixit notre interlocuteur, un youtubeur exemplaire. Soit un médiateur qui distingue « consommateurs et citoyens » sans céder à la loi de l’offre et la demande, « développe un sujet sur lequel il a bossé, est passionné, ne sert pas simplement sa soupe ». En l’état actuel des faits, c’est beaucoup. Et si créer une bonne chaîne YouTube était avant tout un acte politique ?
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