Gouverneur de New York à trois reprises entre 1982 et 1994, Mario Cuomo a tiré sa révérence ce jeudi, le jour même de l’investiture de son fils à ce même poste pour un second mandat. L’icône du parti démocrate avait 82 ans.
C’est un symbole de la méritocratie américaine qui s’est éteint ce 1er janvier 2015. Mario Cuomo, gouverneur de l’État de New York pendant trois mandats successifs, entre 1982 et 1994, est décédé à l’âge de 82 ans, quelques heures après l’investiture de son fils, Andrew, pour un second mandat. Retour sur un parcours politique hors-norme.
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Concourir au fauteuil suprême ? Très peu pour lui. Pressenti candidat à la Maison Blanche en 1988 et en 1992, Mario Cuomo reste volontairement sur la touche. Sentiment d’« insécurité » devant l’accès aux responsabilités ? Trouille des scrutins présidentiels ?
Il faut dire que, comme le raconte le New Yorker, ce fils d’immigrés italiens, qui tenaient une épicerie dans le quartier du Queens, ne se destinait pas le moins du monde à une carrière en politique. À 20 ans, il signe un contrat avec les Pirates de Pittsburg, une équipe de base-ball où il révèle toute l’étendue de son talent. Joueur prometteur, remarqué par ses sélectionneurs, il est contraint de se reconvertir après une blessure à la tête. Mais Cuomo ne se laisse pas démonter.
Premier de la classe
Fort en thème, travailleur, il termine major de sa promo après trois années d’études en droit. Tout juste diplômé, il est déjà un pur produit de la réussite à l’américaine, promis à un brillant avenir d’avocat. Il a moins de trente ans et déjà le goût d’en découdre avec les poids lourds.
Dans les années 1960, Cuomo se fait un nom en représentant « The Corona Fighting 69 », un groupe de propriétaires menacés d’expropriation par la municipalité. Et il ne perd pas de temps. Il gagne une renommée nationale en jouant les médiateurs pour le compte du maire de New York, dans le cadre de la construction controversée de logements sociaux dans le quartier résidentiel de Forest Hills. Dès lors, plus rien ne semble l’arrêter. Si Cuomo essuie quelques revers politiques dans les années 1970, le gamin du Queens a fait son trou. Il est élu gouverneur de l’État de New York en 1982.
Une cité qui brille sur la colline
Porté par son charisme, le challenger affiche un éventail d’opinions iconoclastes. Dans un discours prononcé en 1984 à la Convention démocrate, il soutient une politique keynésienne et promeut les vertus de la relance, aux antipodes des coupes budgétaires défendues par le président Reagan. En bon tribun, il s’oppose au « darwinisme social » que voudrait imposer son adversaire libéral, et prend fait et cause contre l’exceptionnalisme américain qu’il prône dans ses discours. Il va même jusqu’à reprendre les mots du président pour mieux les retourner contre lui, dans un morceau de bravoure devenu célèbre. Les effets sont dévastateurs :
« Une cité qui brille sur la colline, voilà peut-être tout ce que le Président voit depuis le portique de la Maison Blanche et la véranda de son ranch, où tout le monde a l’air de se porter à merveille. Mais il y a une autre ville, il y a une part d’ombre derrière la face rutilante de cette ville : une ville où certaines personnes ne sont plus en mesure de payer leurs hypothèques et où la plupart des jeunes sont incapables d’en souscrire une ; une ville où les étudiants ne peuvent pas se payer l’éducation dont ils ont besoin et où les parents de la classe moyenne voient s’évaporer les rêves qu’ils caressent pour leurs enfants. […] Monsieur le Président, vous devriez savoir que cette nation est davantage un Conte de deux cités qu’une Ville brillante sur la colline. »
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Un « progressisme pragmatique »
Mais ce n’est pas tout. À une époque où le débat fait rage, Cuomo monte au créneau contre la peine de mort et va jusqu’à se prononcer en faveur du droit à l’avortement, en dépit de ses opinions personnelles sur le sujet. Au risque, surtout, de froisser l’Église catholique, qui lui pardonne si peu cette sortie de route qu’elle envisage un temps de l’excommunier. Ardent défenseur des droits des minorités, le fils d’immigrés se veut fidèle à ses racines et ne craint pas de parler haut quand nécessaire. Mais ce héraut d’un « progressisme pragmatique » n’a pas son rond de serviette à la table des puissants et c’est peu dire que l' »Hamlet sur l’Hudson » a payé au prix fort son peu de goût pour « les courbettes, les collectes de fonds, le service après-vente, les motels ». Cuomo n’est pas homme à faire tapisserie. Il n’est pas non plus obnubilé par la chasse aux maroquins et revendique une certaine modestie. Pour preuve, il brigue un temps le poste de juge à la Cour suprême avant de se raviser. Ken Auletta, journaliste au New Yorker rapporte ces quelques propos, que Cuomo aurait tenus lors d’un dîner en 1982 :
« Il faut recourir à d’autres critères de valeur que les jouissances égoïstes. Impossible de gagner à ce petit jeu. Une fois président, on veut devenir roi. »
À l’examen du pedigree politique de Cuomo, difficile de ne pas imaginer tout ce qu’aurait pu être cette carrière fusillée en plein vol. Après 1994, battu aux élections par George Pataki, il entame une traversée du désert dont il ne reviendra jamais.
American Dream
Les ténors du parti démocrate n’en ont pas moins vivement réagi à l’annonce du décès de leur symbole. « La vie de Mario était l’incarnation même du rêve américain », ont affirmé Bill et Hillary Clinton dans un communiqué commun. Avec Andrew, l’un de ses cinq fils, la relève semble pourtant assurée. Le jour de son investiture, ce dernier a tenu à lui rendre un vibrant hommage :
« Il n’a pas pu être présent physiquement aujourd’hui. Mais mon père est dans cette salle. Il est dans le cœur et l’esprit de chacune des personnes qui se trouvent ici. Il est ici, et son inspiration, son héritage et son expérience sont ce qui a conduit cet État au point où il se trouve maintenant. »
Un homme de lettres
Cuomo, à en croire le New Yorker, se distinguait par sa capacité d’écoute. Fin lettré, il tenait un journal intime, dans lequel il consignait inlassablement toutes ses réflexions :
« Il passait des heures à réfléchir sur les événements et à rédiger son journal, non pas tant pour célébrer sa petite personne que pour mettre en forme sa propre pensée. Sa bibliothèque était pleine à craquer des livres qu’il avait lus et des œuvres, abondamment annotées, d’Aristote, de Dante, de Marc-Aurèle, et du théologien jésuite Teilhard de Chardin. Il savait contenir son ego et, contrairement à certains de ses contemporains comme Ed Koch et Hugh Carey, il ne s’adressait pas à ceux qu’il rencontrait comme à un auditoire. Il avait la rare faculté d’écouter et il pouvait envisager les problèmes sous quatre angles différents. »
Poète à ses heures, Cuomo composait çà et là quelques vers :
« La politique, ce sport de haute-voltige,
La soif pour le pouvoir, l’argent et le prestige. »
Peu de chance qu’ils passent à la postérité. Mais difficile de nier que cet homme qui voulait « faire campagne en poésie et gouverner en prose » a fini, chemin faisant, par tirer son épingle du jeu.
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