La Cour européenne des droits de l’homme vient d’estimer que la France avait violé la liberté d’expression en condamnant pour offense l’homme qui avait brandi la pancarte « Casse-toi pov’con » lors d’une visite de Nicolas Sarkozy en août 2008. L’occasion de revenir sur l’histoire des insultes présidentielles avec Raphaël Meltz, auteur de « De voyou à Pov’con, les offenses au chef de l’Etat de Jules Grévy à Nicolas Sarkozy ».
[Article initialement publié le 1er mars 2012] L’offense au président de la République est punie par la loi depuis 1881. Mais pour réparer l’affront, tous les chefs de l’Etat n’ont pas eu recours de la manière à la justice. Dans De Voyou à Pov’con, l’écrivain et cofondateur du magazine Le Tigre, Raphael Meltz, fait un retour sur ces différents épisodes, de Jules Grevy à Nicolas Sarkozy.
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En effet, alors que De Gaulle multiplie les poursuites contre ses détracteurs, Giscard à peine élu déclare que la presse ne sera pas poursuivie en cas d’insulte au Président. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, les comparutions devant le tribunal pour offense au chef de l’Etat se sont multipliées.
Raphael Meltz insiste ainsi sur l’évolution du recours aux sanctions, reflet non seulement de la liberté d’expression de l’époque mais aussi du rapport à la fonction présidentielle. Petite sélection des perles de cet ouvrage.
Fin 1885, le journal La petite République publie un texte décrivant Felix Faure en « mannequin grotesque qui ne fera peur qu’aux moineaux de l’Elysée ». Personne ne sera condamné, les auteurs ne seront même pas poursuivis, les attaques contre les chefs de l’Etat étant alors très fréquentes.
Le 3 novembre 1901, un conseiller municipal de Paris traite le président Loubet de « cornichon pourri de l’Elysée » lors d’une réunion. Un an plus tard, il est condamné à six mois de prison. Décision annulée en appel car rien ne prouvait que ces propos étaient dirigés contre le chef de l’Etat.
Au lendemain de la réunion, dans Le Drapeau le même conseiller écrit, toujours à propos du chef de l’Etat, qu’il est le « président accidentel de la famille des courges » après l’avoir traité de « cornichon ramolli ». Cette fois il écopera de six mois de prison.
Le 26 juin 1941, la première affaire d’offense recensée sous Vichy implique un individu parlant, à la Poste de Sens, de Pétain en ces termes: « Il nous fait chier, c’est un vieux con, il ferait mieux d’aller vivre dans son château à son âge. » Trois mois de prison avec sursis.
L’année suivante, un homme est condamné pour s’être exclamé dans un café : « Pétain, c’est un vieux cul! » Dénoncé, il sera condamné à quatre mois de prison avec sursis et 400 francs d’amende.
Le 26 septembre 1947, l’hebdomadaire Paroles françaises publie un article anonyme dans lequel est écrit à propos de Vincent Auriol: « Tout le monde se fout de cette pauvre nouille bedonnante, dont l’oeil coule comme un camembert au mois d’août. » Le Président souffrait en effet d’une infirmité à l’œil. Le directeur de la publication ne sera pas poursuivi car il jouissait d’une immunité liée a son autre fonction de député. La loi sera d’ailleurs modifiée par la suite dans le but de faciliter les poursuites dans ce genre de situations.
En 1964, François Mitterrand, dans Le Coup d’Etat permanent, fait référence au caractère contestable de certaines condamnations pour offense. Et d’évoquer le cas d’un certain Castaing, criant au Général lors de la remontée des champs Elysées en novembre 1962: « A la retraite! » il payera 500 francs d’amende. Tandis que le sieur Vicari, qui aurait le même jour crié « Hou hou » et sifflé, sera lui condamné à 1000 francs d’amende. Conclusion de Mitterrand :
« Sur les balances de la justice, inviter le général de Gaulle à rentrer à Colombey-les-Deux-Eglises pour y jouir enfin d’un repos mérité coûte deux fois moins cher que jeter à la cantonnade cet énigmatique « hou hou » qui a l’allure suspecte d’un mot de passe, d’un appel à l’insurrection, d’une incantation au vaudou, que sais-je encore ? »
L’année suivante paraît le livre du journaliste pamphlétaire André Figuieras Le général mourra. Il y qualifie De Gaulle d’« obélisque baratineur, ce pharaon de marché aux puces … hercule de foire… pétomane invétéré, le général ne cesser de lancer une flatulence bien plus haut que l’endroit adéquat ». Figuieras devra payer 5000 francs d’amende et sera condamné à trois mois de prison. Son livre sera interdit.
Un tournant intervient le 29 mai 1974 lorsque Valery Giscarg d’Estaing annonce qu’il ne poursuivra plus les journalistes coupables d’insulte à sa personne. Libération titre alors en Une : « Depuis hier, insulter Giscard, c’est légal! » Titre suivi, toujours en Une, d’un savoureux florilège d’insultes démarrant ainsi: « Tête de con, pourri de bourgeois, pomme, naze, facho, rat d’égout, peine-à-jouir, trouduc… fils à papa, requin d’arriviste, mange-caca, pisse froid, menteur, crétin, grande saucisse sans moutarde (…) »
D’autres anecdotes montrent que les chefs d’Etat ne manquent pas toujours d’humour face aux insultes. C’est le cas de François Mitterrand, qui, face à des manifestants criant « Mitterrand fous le camp! » aurait répondu : « Ça rime, mais c’est une rime pauvre ». Idem de son successeur, Jacques Chirac, à propos duquel le journaliste Nicholas Domenach fait part de cette anecdote. Alors qu’un malotru l’avait traité de « connard », sa réplique avait fusé: « Enchanté, moi c’est Chirac! » avant de se diriger vers le malotru pour lui serrer la main.
Dans la même situation, d’autres ne réagissent pas vraiment de la même manière… On ne se lasse pas, par exemple, du “casse toi pov’con” de Sarkozy lors du salon de l’agriculture de février 2008.
http://www.youtube.com/watch?v=axDyUNWyuw8
Toujours à propos de l’actuel locataire de l’Elysée, le professeur de droit Stephane Rials affirmait ainsi Liberation en juillet 2009 qu’il “provoque chez beaucoup un pénible désir d’injure”. Et si les condamnations sont minimes à ce jour, le President est beaucoup plus procedurier que ses prédécesseurs, notamment concernant son droit à l’image. Avis aux amateurs…
Léa Lefevre
« De voyou à Pov’con, les offenses au chef de l’Etat de Jules Grévy à Nicolas Sarkozy », de Raphaël Meltz (ed. Robert Laffont)
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