Après un E3 raté et alors que ses ventes de consoles plafonnent, Nintendo présentait cette semaine son futur catalogue de jeux à Paris avec « Super Mario Maker » en vedette. S’il y a incontestablement du bon, l’ensemble témoigne d’une étrange orientation.
Nintendo jette l’éponge. Si ses jeux et ses consoles ne plaisent plus autant qu’avant, autant qu’à la glorieuse époque de la Wii (100 millions de machines vendues à travers le monde contre 10 millions à ce jour pour la Wii U qui lui a succédé), si les joueurs ne sont pas contents de ses dernières productions, eh bien, qu’ils s’y mettent eux-mêmes. Nintendo leur confie en effet les outils : à eux de fabriquer les jeux à sa place. On exagère, bien sûr, mais il y a quelque chose d’étrange à voir Nintendo faire de Super Mario Maker son titre vedette de l’année 2015. A l’occasion du salon E3, il y a deux semaines, il était omniprésent dans l’étrange vidéo d’une petite heure diffusée sur le web par Nintendo et qui n’avait que peu de rapports avec les spectaculaires conférences de presse des autres constructeurs, Sony et Microsoft. Avec ses allures de spectacle de marionnettes à l’effigie des principaux dirigeants de la firme japonaise (oui : de vrais Muppets), ladite retransmissions a même suscité sur Internet un mélange de gêne et de colère (sur le mode : « Où sont les vraies annonces de vrais nouveaux grands jeux ? »). Comme si Nintendo déclarait forfait pour se positionner ailleurs – loin des blockbusters et des avancées technologiques autant que des expérimentations arty. Cette semaine, alors que la collection vidéoludique automne-hiver de Nintendo faisait un détour par Paris, c’est le même Mario Maker qui était mis en avant, avec le plus de bornes interactives et la place d’honneur. Or Mario Maker n’est pas exactement un jeu mais une application destinée à permettre à chacun de créer ses propres niveaux de Super Mario.
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Mario Maker est à la fois un puissant stimulant créatif et une épatante leçon de level design.
Pas de malentendu : la chose est très prometteuse. Sur un principe proche de Little Big Planet en encore plus accessible, Mario Maker est à la fois un puissant stimulant créatif et une épatante leçon de level design. Stylet en main, le joueur devenu concepteur ajoute des plateformes, des ennemis, des trésors sur l’écran tactile de la manette Wii U. Une plante carnivore ici, un tuyau là. Non, plus long, le tuyau, et avec un canon juste derrière. Et puis une bombe ailée. Et un trio de tortues. A chaque instant, il est possible de tester ce que l’on a créé en prenant le contrôle de Mario. Et d’opérer de petites ou grandes modifications en fonction de ses sensations de jeu. Un millimètre peut tout changer, une seconde aussi. Et ce n’est pas qu’une question d’efficacité – même s’il y a évidemment des options qui marchent mieux que d’autres – mais, aussi, de partis pris, de style, d’idées. Vivement septembre – Mario Maker sort le 11 – que l’on puisse s’y mettre vraiment et, pas du tout accessoirement, découvrir en ligne de quels trésors et/ou monuments de perversion auront accouché les autres joueurs.
Le problème, c’est que cette vision du jeu comme kit dont on réagence les pièces pour en faire quelque chose d’un peu différent (mais pas trop non plus) semble avoir gagné une bonne partie du catalogue de l’éditeur, comme si lui-même jouait à Mario Maker avec sa propre histoire. Animal Crossing devient alors un jeu de plateau ou de déco, Metroid Prime perd son héroïne, se convertit au multijoueur et intègre un sport futuriste, Zelda se joue à plusieurs (sur 3DS, dans l’esprit de l’épisode Four Swords). Et puis Chibi-Robo, autrefois touchante exploration du quotidien japonais, se fait platformer 2D normalisé pendant que le prochain jeu de rôle Mario fait fusionner les branches Mario & Luigi et Paper Mario de la famille. Sans parler du futur Star Fox Zero (qui, pour l’heure assez bancal, semble lui-même un peu en morceaux), le nouveau Mario Tennis (qui, pour ce qu’on en a vu, sent un peu le réchauffé) et l’omniprésence, dans la stratégie de la marque, des figurines Amiibo (dont le succès ne se dément apparemment pas) témoignent de la même logique de déplacement (des héros, des concepts…) et de mélange d’éléments, logique qui semble avoir pris le dessus sur l’inventivité historique de la marque. On rebat frénétiquement les carte, mais sans en introduire de nouvelles. On composera plus tard ; pour le moment, place aux remix.
Bientôt Xenoblade Chronicles X
A nouveau, on exagère. Le récent Splatoon est très bon, l’adorable Yoshi’s Wooly World est sorti cette semaine et certains des titres à venir, en particulier Zelda Triforce Heroes, ne manquent clairement pas de qualités. D’ici la fin de l’année, Nintendo éditera aussi en Europe Xenoblade Chronicles X, un jeu de rôle dont ceux qui ont pu essayer sa version japonaise disent le plus grand bien et, avant le Zelda de la Wii U (annoncé pour 2016, mais qui se fait discret), quelques surprises ne sont pas à exclure. Mais la maison Mario semble entrée dans une phase de transition, préparant dans l’ombre son entrée très prochaine sur le marché du jeu mobile et le lancement plus lointain d’une nouvelle console – nom de code : NX – sur laquelle les rumeurs les plus folles circulent déjà – on dit en particulier qu’elle pourrait mettre fin à la distinctions entre plateformes portables et de salon. En attendant les grandes manœuvres, le temps est aux petits pas. Un tuyau par ci, une tortue par là. Lentement, précisément, avec un sens indéniable de l’artisanat ludique et de sa transmission. C’est déjà ça.
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