Des mouvances anarcho-autonomes aux partis d’extrême droite, en passant par le Parti communiste, l’Observatoire des radicalités politiques a analysé de long en large les extrémités politiques lors d’une conférence à la Fondation Jean Jaurès. Compte-rendu.
Alors qu’une voiture de police était incendiée et un policier frappé ce 18 mai en marge d’une manifestation contre les violences policières, l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès réunissait des chercheurs pour tenter de définir la notion de radicalité en politique au XXe siècle. Du communisme aux mouvances d’ultra-gauche, en passant par l’offre politique de l’extrême droite, la radicalité politique, souvent cantonnée aux marges, s’invite parfois au centre du débat public, soit par ses actions violentes, soit par le poids électoral qu’elle acquiert. Mais comment la définir ? Quelles sont ses manifestations ? Quels écueils rencontre-t-elle aux deux extrémités de l’échiquier politique ?
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Le PCF, « un parti révolutionnaire de gouvernement »
Historien du communisme, auteur d’une Histoire du communisme (éd. PUF), Romain Ducoulombier s’est interrogé sur la radicalité du Parti Communiste Français (PCF). Longtemps hégémonique sur le terrain révolutionnaire en France, le PCF semble en effet avoir perdu toute crédibilité en la matière, du fait notamment de ses alliances avec la social-démocratie et de son intégration au système institutionnel. L’une des causes du recul du PCF à partir des années 1970-1980 est-elle alors sa perte de radicalité ? Pour Romain Ducoulombier, le PCF a cultivé le paradoxe d’être un « parti révolutionnaire de gouvernement » : à la fois adhérent à la IIIe Internationale, « acteur et victime de la violence » lors de certains épisodes de son histoire, considéré comme « l’ennemi » par de multiples gouvernements, et ayant participé au pouvoir « soit comme membre d’une coalition politique – le Front Populaire –, soit avec des ministres à la Libération, puis entre 1981 et 1984, et enfin dans la gauche plurielle ». Il a donc toujours été pris en tenaille entre pureté révolutionnaire et compromission dans l’alliance, en ayant toujours à cœur de s’insérer dans le système politique pour y incarner des classes dominées ou sous-représentées – ouvriers et paysans.
Y a-t-il un lien entre son processus de « déradicalisation » (déstalinisation, abandon de la « dictature du prolétariat » en 1976, etc.) et sa perte d’influence politique et électorale ? Pour Romain Ducoulombier, le PCF est « un parti dont le cœur sociologique s’est déstructuré, mais qui s’est aussi désarmé » sans pour autant aller au bout de sa mutation eurocommuniste.
Radicalité et violence politique à l’ultra-gauche
A l’opposé de cette trajectoire, des groupes d’ultragauche se revendiquant du communisme – mot ou idée (comme dirait Badiou) qui n’a rien perdu de son caractère subversif – ont repris le flambeau d’une certaine radicalité. Qu’entendre par là ? Pour Isabelle Sommier, professeur de sociologie à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la violence politique et des mouvements sociaux, ces groupes sont « dans une posture révolutionnaire, et envisagent le recours à des formes non-conventionnelles de participation politique, éventuellement illégales et violentes ». Ces formations ont ceci de particulier qu’en France elles ont « incubé au sein du PCF », et notamment de l’Union des Etudiants Communistes (UEC). A l’issue de diverses scissions, dans les années 1960, deux grandes familles de groupes d’extrême gauche sont nées de l’UEC : la famille maoïste (UJCML et Gauche prolétarienne) et la famille trotskiste (LO, lambertistes et LCR). Ces groupes minoritaires ont été tentés par la lutte armée contre la « fascisation du régime » gaulliste qu’ils craignaient après Mai 68. D’où la création par exemple des Groupes ouvriers anti-flics (GOAF) et des actions violentes qui ont finalement conduit à la dissolution de plusieurs de ces groupes.
Dans les années 2000, une nouvelle catégorie est apparue dans le débat public à l’occasion de différents épisodes violents, celle d’ultra-gauche, héritière du conseillisme allemand, des situationnistes et de la gauche communiste. Ces groupes ont surgi en France notamment lors du mouvement anti-CPE en 2006 et du sabotage des lignes à haute-tension de la SNCF impliquant le fameux « groupe de Tarnac » en 2008. Peu avant cette affaire, en mai 2008, les Renseignements généraux s’inquiétaient d’ailleurs déjà d’une dérive radicale dans un rapport au titre évocateur : « Du conflit anti-CPE à la constitution d’un réseau pré-terroriste international ». Concernant la mobilisation actuelle contre la loi travail, émaillée de violences de la part de groupes organisés, la sociologue considère que l’« on vit ce qui s’est joué en 2006 à la puissance dix ».
« Le FN demeure un parti de premier tour »
A la différence des mouvances d’ultra-gauche, « les mouvements d’extrême droite n’utilisent pas forcément la violence, les Etats d’extrême droite oui », enchaîne l’historien spécialiste des droites extrêmes Nicolas Lebourg. Le Front national (FN) offre un cas d’école de parti anti-système sorti de la marginalité électorale grâce à la radicalité symbolique dont son vote est porteur. L’historien insiste cependant sur le plafond de verre atteint pour l’instant par le FN, qui a essayé de se transformer en parti de l’offre en 2012 :
« Marine Le Pen invente une offre politique qui est le souverainisme intégral – économique, culturel et politique –, selon lequel tous les maux viennent de l’orientalisation. C’est bien pour le premier tour, mais pas pour le second, car cette offre n’est pas assez libérale économiquement pour séduire la droite. Pour l’instant le FN demeure donc un parti de premier tour ».
Enfin, il insiste sur la fonction de « parti-lobby » du FN : « Quand vous votez FN, cela entraîne toujours un changement politique », estime-t-il, car les partis de gouvernement sont perméables aux idées qu’il véhicule, en matière de sécurité et d’immigration notamment. S’intéresser aux marges permet donc d’éclairer d’une certaine manière le centre. S’ils n’osent pas se présenter comme révolutionnaires, les candidats des partis de gouvernements ne se font-ils pas à chaque élection présidentielle les chantres du « changement » et de la « rupture » ?
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