Riche en témoignages, un portrait au long cours de Charlie Chaplin, cinéaste visionnaire qui aura fait de sa vie la matière même de ses films.
Rarement œuvre aura été de façon aussi frontale le commentaire à peine transposé de la vie de son auteur que celle de Charlie Chaplin. Cette vie de misère et de survie qui peuple le quotidien de son personnage, Charlot, c’est aussi celle qu’enfant il vécut dans les bas-fonds crasseux de Londres, séparé d’un père alcoolique qu’il connut à peine et d’une mère folle maintes fois internée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une enfance ballottée de mansardes en asiles, plus triste qu’un roman de Dickens, dont Chaplin se souviendra dans Le Kid, son premier vrai long métrage. Là, pour la première fois, le burlesque agile qui émaillait les premières apparitions du clochard facétieux portant frac usé, melon poussiéreux et larges godillots se conjugue au mélodrame déchirant. Et sa gestuelle dansante, héritée de ses années de formation auprès de la troupe de pantomime de Fred Karno, se teinte d’une mélancolie sourde.
Acharnement à occuper le cadre
A travers un riche chapelet de témoignages (entre autres ses fils Eugène et Michael Chaplin, le cinéaste Pierre Etaix et l’historien du cinéma Jean Narboni), Christine Lecerf et Angélique Tibau plongent au cœur de cette vie contrastée, de l’extrême pauvreté à la légende hollywoodienne. La mélancolie ne le quittera jamais tout à fait, comme si elle n’était que le revers de la lutte pour survivre dans un monde hostile. Propre au vagabond ou à l’émigrant qu’il n’a jamais cessé d’être, ce combat se traduit, à l’image, par l’acharnement à occuper le cadre, le désir de ne surtout pas être expulsé du plan.
D’abord simple corps comique évoluant dans un univers forclos qui tend à s’élargir, de la rue à la société tout entière, Charlot acquiert une gravité émouvante et une impressionnante prescience politique. Des Temps modernes, pamphlet comique contre la standardisation du travail, au Dictateur, son premier film parlant, le plus tristement visionnaire, un pont est jeté. Comme si le totalitarisme n’était que la conséquence logique de la mécanisation de l’homme, de la déshumanisation du monde social.
Et, parce qu’un film parlant doit être avant tout une véritable “prise de parole”, au sens politique du terme, Chaplin n’aura finalement sorti son personnage du mutisme que pour dire des choses essentielles pour le monde… Anaïs Leehmann
Charlie Chaplin, the Artist série d’émissions de Christine Lecerf, réalisation Angélique Tibau. Du 18 au 22 juillet, de 9 h 10 à 11 h, France Culture
{"type":"Banniere-Basse"}