La semaine dernière, devenir un homme avec Sattouf, intégrer sa virilité dans le football, aller au-delà des normes genrées et des chochottes à sa maman.
Mon cher Inrocks, ce qui intéresse Riad Sattouf, “c’est d’explorer ce qui fait qu’on est un garçon ou une fille, et surtout à quel moment on est considéré comme un homme par les autres hommes”. Et pour cela, dans la cour de récré, au square où j’observe mon fils et ses copains, rien de tel que le foot. “Quand tu y joues, ce n’est pas tout de marquer des buts, il y a aussi la façon de se tenir sur le terrain ou de gueuler ‘Passe !’ à un mec qui joue mal parce qu’on est scandalisé et qu’on pense qu’on ferait mieux que lui.” Il y a ceux qui ont l’autorité naturelle, qui sont capitaines, qui tirent les équipes.
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Il y a ceux qu’on choisit en premier dans son équipe, ceux qui attendent, pétrifiés, d’être intégrés et ça ne vient pas. Ceux à qui on dit “tu es remplaçant” et ceux qui finissent arbitres. Ceux qui gueulent et ceux qui la ferment. Une hiérarchie stricte, où se jouent ta réputation et le regard que tu poses sur toi-même, bien plus que dans la salle de classe. Mon fils court, tacle, râpe ses genoux sur le béton, saigne, se pince les joues pour ne pas pleurer, et se relève. Un instant j’ai envie d’y aller. C’est bien écorché. Nos regards se croisent. Le sien m’ordonne de ne pas bouger. OK. Il saigne et ne bronche pas. Les larmes montent, mais ne coulent pas. Ses potes le regardent. Respect. Ça c’est un homme.
Je suis fier de lui. Il est courageux. Je sais que si ses copains n’étaient pas là, il hurlerait. Il s’est remis à courir et a presque oublié sa douleur. Mais une partie de moi proteste : plus je vieillis et plus j’ai en horreur ces codes du masculin inoculés dès le plus jeune âge, cet imaginaire de la puissance, du courage, de l’héroïsme, du mâle dominant. Celui qui pleure, tout le monde se foutra de sa gueule. Ouh, la chochotte à sa maman ! C’est l’éducation à la dure de la cour de récré et ça peut durer toute la vie, si on n’y fait pas gaffe.
“Cela n’a jamais été très évident pour moi. J’étais blond, efféminé”, raconte Riad Sattouf. Jeanne Added dit : “Les normes genrées ne m’ont jamais convenu.” Et voici mon fils qui tombe dans le panneau ! Et je suis fier en plus ! Et là, miracle : il pleure, pour de vrai. Il avait laissé son ballon offert par son grand-père sur le bord du terrain. On lui a piqué. Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Il est dévasté. Tout le monde se met autour de lui. Personne ne se moque, en fait. Je m’approche pour le consoler quand son copain Gaspard lui tend son ballon et dit : “Tiens, Paul, je te l’offre. On joue tout le temps ensemble de toute façon.” Paul sèche ses larmes. Le jeu reprend, et je remballe ma sociologie de cour de récré.
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