Alors que l’épisode XI de la saga « Dragon Quest » dont il est la mascotte rencontre un succès considérable au Japon, la figure du slime est au centre de deux des jeux indés les plus réjouissants du moment : le très fédérateur « Slime Rancher » et l’impitoyable « Slime-san ». On n’avait jamais trouvé les gluants aussi attachants.
Comme à chaque fois, des foules en liesse étaient là pour célébrer son retour. Une dizaine de jours à peine après sa sortie au pays du Soleil-Levant, le dernier épisode de ses aventures s’était déjà écoulé à plus de 3 millions d’exemplaires – en comptant les versions dématérialisées du jeu. On ne parle pas ici de Mario, de Lara Croft, de Master Chief ou de Solid Snake mais d’une autre légende du jeu vidéo : le slime.
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https://youtu.be/QxoB2XNIFgs
Certains argueront sans doute que la molle et gluante créature en forme de goutte d’eau arborant un sourire légèrement idiot n’est pas le véritable héros de la mythique série de jeux de rôle Dragon Quest dont l’opus XI, Echoes of an Elusive Age, est paru au Japon le 29 juillet sur 3DS et PS4 – en attendant la version Switch encore dépourvue de date de sortie – et que l’Europe découvrira en 2018. Admettons. Le slime est en tout cas la mascotte officielle de Dragon Quest, où on peut le rencontrer sous bien des formes, de la plus banale (l’omniprésent et faiblard slime bleu) à la plus recherchée (le très fuyant slime de métal, qui procure énormément de points d’expérience aux chanceux réussissant à le terrasser). Signe de sa popularité, le slime de Dragon Quest a même eu droit à sa série dérivée. Mais le destin de l’improbable créature ne se limite pas aux titres édités par Square Enix, comme le montrent deux des jeux indépendants les plus réjouissants de ces dernières semaines : le plutôt relaxant (et néanmoins obsédant) Slime Rancher et le plus furieux Slime-san. Cet été, pour notre plus grande joie, on a vu des slimes partout.
« Il a toujours été prévu que ce soit des slimes parce que ce sont des créatures simples et dépourvues de membres. Au début du développement, j’étais le seul artiste de l’équipe et je suis très mauvais en animation, donc les membres étaient hors de question. » A en croire les propos de Nick Popovich, co-fondateur du studio californien Monomi Park et game designer de Slime Rancher, au site Rock, Paper, Shotgun, mettre des slimes dans son jeu aurait presque été une solution de facilité. Mais le développeur ajoute que leur forme se prêtait aussi à merveille à son envie de proposer une expérience s’appuyant largement sur les interactions physiques entre les objets et créatures que l’on ne tarde pas à propulser joyeusement les uns contre les autres – c’est la part merveilleusement burlesque du jeu.
Phénomène de saison déjà téléchargé plusieurs millions de fois par la double grâce d’une version early access qui l’a aidé à se faire une réputation sur Steam avant le lancement du jeu « définitif » et de sa gratuité pendant tout le mois d’août pour les abonnés « Gold » (c’est-à-dire payants) au service en ligne de la Xbox One, Slime Rancher est un peu le fils caché de l’adorable simulation de vie à la ferme nippone Harvest Moon et de Half-Life 2 dont le célèbre « gravity gun » se réinvente ici en fusil aspirateur (et recracheur) de slimes, mais aussi de fruits, légumes ou poulets qui serviront à les nourrir après leur avoir construit des enclos. Mais attention : pour éviter que notre exploitation agricole naissante ne bascule d’emblée dans l’anarchie, mieux vaut ne pas trop mélanger les différents types de slimes (le rose omnivore, le tigré qui aime la viande, le phosphorescent qui préfère les fruits…) et protéger nos cultures des intrusions intempestives de gluants sauvages.
Entre deux virées dans la nature environnante moins pacifique qu’on ne pourrait le croire à première vue, on se passionne étrangement pour le développement de notre ferme, installant de nouveaux enclos, choisissant avec soin nos plantations et planifiant avec rigueur ses prochaines expansions. Slime Rancher est un jeu de gestion, mais aussi, et c’est ce qui le rend irrésistible, d’observation et d’expérimentation. Ici, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des autres jeux « de ferme », rien ne presse jamais et on a tout notre temps pour sortir étudier les slimes, ces créatures paradoxalement fascinantes. Car si le slime est le degré zéro de l’animal de jeu vidéo, il en est aussi la page blanche, celle sur laquelle n’importe quoi ou presque peut advenir. Puisqu’un slime n’est presque rien, aucune mutation ne lui est a priori interdite et, en la matière, les artistes de Monomi Park ne manquent pas d’imagination. De Slime Rancher, on sortira définitivement amoureux des slimes – à supposer qu’on ait envie d’en sortir un jour.
Conçu, lui, par les New-Yorkais de Fabraz et fraîchement paru sur Switch quelques mois après son arrivée sur Mac et PC, Slime-san propulse de son côté nos bestioles adorées dans des niveaux de plateforme dont la difficulté n’a rien à envier à celle de Super Meat Boy. Autant dire qu’il va falloir s’accrocher. Mais, loin de nous décourager, la fréquentation de ce monde au style graphique très (vraiment très : plutôt ZX Spectrum et early 80’s que MegaDrive ou SNES) rétro qui est aussi un espace de comédie se montre riche en instants gratifiants. Car, en promenant notre slime dont les pouvoirs les plus notables sont un don léger pour le transformisme et une capacité modérée à s’accrocher aux murs – qui ne rêverait pas de ça ? –, on se découvre avec surprise moins sensible aux gros échecs (qui, dans le contexte, peuvent ailleurs parfois assez drôles) qu’à la multitude de petits succès qui font le prix d’un jeu sévère mais juste et ne cherchant jamais à punir le joueur – parce qu’on ne recommence jamais bien loin de là où on a fauté et que le jeu, très lisible malgré ses atours néo-primitifs, fait en sorte qu’on comprenne toujours ce qui s’est mal passé.
C’est un obstacle que l’on parvient enfin à éviter, une séquence d’actions dont on intègre le bon tempo ou même un sprint improvisé façon sauve-qui-peut miraculeusement victorieux. Après quoi, histoire de souffler, on va bavarder avec nos voisins – ceux de notre alter ego, c’est-à-dire – qui se feront un plaisir de nous apprendre ce qui distingue slimes, jellies et blobs. Et c’est ainsi que Slime-san se révèle cette chose improbable : un die and retry qui fait chaud au cœur, un jeu hardcore bienveillant. L’effet slime, probablement.
Slime Rancher (Monomi Park), sur Xbox One, Mac et PC, environ 20 €
Slime-san (Fabraz / Headup Games), sur Switch, Mac et PC, environ 12 €. A paraître sur PS4 et Xbox One
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