Depuis une dizaine d’années, les mesures anti-kebab se multiplient en Europe, surtout en Italie et en France. Derrière le sandwich à la viande se niche l’épineuse question du rapport à l’islam.
« Marseille part en guerre contre les kebabs« , « Plan anti-kebab à Marseille« … Depuis quelques jours, la cité Phocéenne est au centre d’une polémique autour du célèbre sandwich « salade, tomates, oignon ». En cause, un rapport du conseil municipal en date du 26 juin qui entérine le principe d’un droit de regard de la mairie sur les commerces de l’hyper-centre.
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Le rapport fixe un périmètre où la municipalité sera prioritaire pour acquérir les baux commerciaux afin de choisir les futurs commerces qui s’y implanteront. La délibération met en avant l’objectif de « favoriser la montée en gamme de l’offre et diversifier l’offre présente en limitant le développement d’offres déjà très représentées ».
« Mais ça n’a rien à voir avec les snack-kebabs, s’énerve Solange Biaggi, adjointe au maire (LR) au commerce et au centre-ville. On nous fait un procès d’intention. Nous voulons faire revenir tous les commerce dans l’hyper-centre. »
Pas de kebab en cause donc ? « Marseille, c’est la diversité, poursuit l’élue courroucée. Mais toute la diversité, de tout le monde. Pas besoin d’avoir que ça. » Sans pouvoir en donner un chiffre précis, cette dernière estime qu’il y a trop de snack-kebabs et de magasins de téléphonie mobile. Des commerces peu appropriés au nouveau public de l’hyper-centre de la cité Phocéenne.
Le rapport à l’Islam
« A Marseille, c’est une question d’image, analyse Pierre Raffard, géographe, auteur d’une thèse sur l’alimentation turque et spécialiste de celle-ci. La mesure s’applique à un quartier très important pour l’image d’une ville qui essaie de plus en plus d’attirer des touristes. Il y a une volonté de gentrification. C’est différent d’ailleurs. »
Les croisades contre le kebab ne sont pas nouvelles et n’ont pas toutes les mêmes raisons. Mais derrière le sandwich à la viande, il y a souvent le rapport à l’islam. « Les références à l’alimentation pour brocarder une population ne sont pas nouvelles. Les groupes de RAC [Rock anti-communiste] des années 1980 s’en prenaient déjà au couscous ou aux merguez, retrace le chercheur. Le kebab pâtit de sa dimension symbolique. »
Ce sandwich populaire est associé à l’immigration, turque puis maghrébine. Créé dans les années 1970 en Allemagne par un ouvrier turc, il s’exporte en France une décennie plus tard, sous la double impulsion de l’immigration turque et libanaise. A la fin des années 1990, des entrepreneurs d’origine maghrébine se placent sur ce créneau. Ce nouvel eldorado de la restauration rapide présente tout à la fois les avantages de ne nécessiter qu’un faible apport en capital, peu de savoir-faire et de répondre à des exigences religieuses telles que le hallal.
« Racisme gastronomique »
Les mesures « anti-kebabs » apparaissent il y a une dizaine d’année. Les premiers à s’être lancés dans de telles croisades sont les Italiens. A l’été 2008, les habitants de Bergame s’offusquent contre l’installation d’un stand de kebab dans le centre historique de la ville lombarde. Premier cas de « racisme gastronomique », comme l’ont surnommé les médias à l’époque.
En 2011, c’est au tour de Cittadella, toujours en Lombardie, de s’attaquer aux kebabs. Cette fois-ci, les mots de la municipalité d’alors sont clairs. « Ils ne font pas partie de notre tradition. » Vient ensuite Vérone, en 2016, où Flavio Tosi (Ligue du Nord) entend « préserver le patrimoine historique et architectural ». Suivi un an plus tard par l’édile de Venise qui veut mettre « un frein aux types d’activités incompatibles avec la préservation et l’héritage culturel » de la ville.
Généralement, les villes n’expulsent pas les kebabs existants, mais décident de limiter l’accès des centres aux futurs snacks. « L’objectif est simple : préservation des centres-villes en bannissant les magasins ethniques, explique Pierre Raffard. Pour autant, ce sont toujours les magasins orientaux qui sont dans le viseurs, rarement les sushis ou les chinois. »
La raison est claire. « Il y a une ‘bonne’ et une ‘mauvaise’ immigration. Dans le cas des Asiatiques, on considère qu’ils sont travailleurs, discrets etc. Le kebab lui, est très lié à l’Islam et à tous les clichés qui vont avec. » La majorité des maires italiens qui s’en prennent aux kebabs, affidés pour beaucoup à la Ligue du Nord, ont voulu aussi adopter des texte interdisant les mosquées. Et en France, c’est bien souvent l’extrême-droite qui s’empare du sujet.
« Kebabophobie » et « Kebabisation »
En France, le kebab comme argument du « grand remplacement » arrive sur la scène médiatique à la faveur Robert Ménard. Déjà présent sur certains blogs d’extrême-droite, c’est le fondateur de Reporter Sans Frontières qui lui donne un réel coup de fouet. En 2013, alors qu’il brigue la mairie de Béziers, il publie une tribune sur Boulevard Voltaire. Il y brosse le portrait d’une France en 2047, où les femmes seraient voilées et les baguettes remplacées par des kebabs.
Il réitère ses propos une fois élu, dans un reportage de Karim Baila dans Envoyé Spécial. Il explique que « quand il y a trop d’immigrés dans un pays, c’est trop d’immigrés ». Avant de faire le parallèle avec le kebab : « Dans le domaine de la restauration, trop de kebabs, c’est trop« . L’édile a donc pris un arrêté semblable instaurant un droit de préemption de la mairie sur les commerces afin d’empêcher à de nouveaux restaurants kebabs de s’y installer.
A cette occasion, le New-York Times se penche même sur la question, parlant alors de « kebabophobie » en France. Parallèlement, le néologisme de « kebabisation » est forgé par l’extrême-droite.
« Ni kebab, ni burger, vive le jambon-beurre »
Le sandwich « salade, tomate, oignons » est alors durablement dans le viseur du Front National. Lors d’un meeting de Marine Le Pen en 2013, Libération relève des pancartes proclamant : « Ni Kebab, ni burger, vive le jambon-beurre« .
Nombre de responsables du FN se sont prononcés sur cette question. En 2014, à Blois, Michel Chassier, élu FN de la ville s’alarme de la multiplication des kebabs, dénonçant « le centre historique de Blois, fleuron de l’histoire française » en voie de « se transformer en ville orientale ».
Au FN, la guerre contre le kebab devient vite un argument électoral. A Nîmes, Yohann Gillet, candidat malheureux à la mairie la promet des mesures contre la « prolifération des commerces de type kebab« . On retrouve de telles campagnes à Beaucaire, ou encore à Perpignan où Louis Alliot surfe sur cette même vague.
Mais la chasse au kebab n’est pas l’apanage des mairies d’extrême-droite. Ainsi, pour des raisons de nuisances nocturnes, la mairie d’Amiens prend un « discret » arrêté anti-kebabs en 2015, comme le révèle le Courrier Picard.
De même qu’à Evry, où le numéro un du kebab en France, Nabab Kebab, hurle à la « kebabophobie » alors qu’on lui refuse un bail pourtant accordé dans un premier temps. Un peu comme à Marseille, il semble qu’il y a là une question de gentrification. Dans la ville de Manuel Valls, il aurait été question « d’image », selon le Parisien. « Le kebab est devenu le symbole d’une islamisation rampante », analyse Pierre Raffard.
Allemand ou grec, pas de problème
Si en France, le kebab est associé aux immigrés et à la menace du « grand-remplacement », c’est différent en Allemagne où il est bien accepté.
A l’exception du mouvement islamophobe Pegida qui a repris ce thème de « l’islamisation par le kebab » lors de certains cortèges où l’on a pu voir des pancartes barrées du slogan « Döner Verdot » (Kebab interdit), le sandwich turc est plutôt vu comme un symbole d’intégration Outre-Rhin.
A tel point qu’aux Etats-Unis, on appréhende le « döner » (appellation allemande du kebab) comme un met allemand. « C’est pour cela qu’il n’y a pas de tels problème outre-Atlantique, indique Pierre Raffard. Les Américains voient le kebab soit comme allemand [le döner], soit comme grec [le gyros]. Contrairement à la France, là-bas ce sont deux aliments associés à des pays culturellement proches, il n’y a donc pas de problème, pas de menace.«
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