David Lynch, son fils Austin et Jason S. ont réalisé des miniportraits d’Américains lambda, diffusés sur le site davidlynch.com, on y sent l’air frais du réel. Un nouvel épisode tous les trois jours.
David Lynch ne semble pas avoir eu de nouveau projet de long métrage depuis son audacieux Inland Empire. Il n’est pas pour autant resté inactif. Outre la production des prochains Werner Herzog et Jodorowsky, ou sa croisade pour la méditation transcendantale, il s’est lancé dans un concept documentaire initié par Jason S. et son propre fils, Austin. The Interview Project est une série de portraits d’Américains inconnus rencontrés au hasard, lors d’un périple de 32 000 kilomètres à travers les Etats-Unis durant 70 jours. Ces 121 vignettes, de quatre minutes (environ) chacune, sont visibles sur un site dédié depuis le 1er juin, à raison d’une tous les trois jours.
Un inventaire tout à fait respectable, qui reprend et prolonge une tradition initiée dès le début du XXe siècle par le mécène Albert Kahn, qui lançait des opérateurs photo et cinéma à travers la planète. Idée que poursuivirent plus ou moins de grands photographes comme August Sander, Walker Evans, ou son disciple Robert Frank. Quant à David Lynch, contrairement à ce que l’on croit, il n’est pas qu’un fondu de fiction baroque et de polar tordu.
Dès les années 1990, il réalisa et produisit avec Mark Frost, son comparse de Twin Peaks, une série documentaire intitulée American Chronicles (qui n’a jamais été diffusée en France et reste inédite en DVD). De plus, l’esprit et le principe de The Interview Project ressemble à celui d’Une histoire vraie, véritable americana sur un vieillard cacochyme traversant les USA sur un tracteur pour voir son frère. Comme dans cette fiction, c’est aux Américains les plus humbles qu’est consacré The Interview Project. Certes, pour des puristes, adeptes de Frederick Wiseman, c’est de la petite bière.
Chaque épisode est introduit par Lynch – qui ne peut pas s’empêcher de faire son petit numéro hitchcockien –, monté, mis en musique ; les propos des interviewés sont entrecoupés de paysages, parfois d’effets gag (dans le n° 2, l’évocation d’un tir de mitraillette est illustrée par des ronds blancs sur un fond noir). Mais dans l’ensemble cela va dans le bon sens, un bon sens néo-rooseveltien.
Pour reprendre le titre du film précité, ce sont des (mini) “histoires vraies”. Comme celle de Kee, indien navajo gay, qui parle de sa sexualité dans un paysage de western ; de Louis, trentenaire destroy qui vous “donnerait sa chemise” ; de Clah, vétéran de l’armée à la moustache de Buffalo Bill ; ou du poignant Jim Carter, septuagénaire impotent, qui se trouve idiot et exprime ses désillusions. Le concept est simplissime : les intervieweurs utilisent une grille de questions sur les rêves d’enfance, les regrets, les projets, la mort, la postérité. Peu importe, on entend ici des gens qui ont rarement voix au chapitre, même dans les documentaires. Belle initiative.