Après avoir rendu publiques ses données, le gouvernement aimerait en favoriser la diffusion via une nouvelle plate-forme : Dataconnexions.
Largement étranger à la culture politique et administrative hexagonale, par comparaison avec des pays en pointe comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, l’open data commence à se déployer en France. Après que des réseaux militants (Regards citoyens) ou une nouvelle vague de journalistes ouverts au datajournalisme (cf. le site Owni ou le succès public récent du magnifique livre de David McCandless, Datavision) ont peu à peu introduit ce concept d’ouverture des données.
Ce principe de transparence de l’information s’est étendu depuis deux ans. Au point de devenir un enjeu politique partagé, et non plus un sujet opaque dont les geeks et les informaticiens seraient les seuls à pouvoir comprendre les règles et les usages.
Alors que de plus en plus de villes – Rennes, Nantes, Paris, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lille, Lyon… -, mettent désormais en ligne des données publiques et développent des applications traitant ces données, la révolution de l’open data mobilise désormais la majorité des acteurs publics, Etat, administrations, établissements publics, collectivités locales, entreprises elles-mêmes.
Un chantier immense
Quelques mois après la mise en ligne de la plate-forme data.gouv.fr, la mission interministérielle Etalab, chargée d’inciter et coordonner la politique d’ouverture des données publiques, vient de lancer Dataconnexions, une plate-forme qui vise à fédérer les partenaires potentiels de l’open data : développeurs, chercheurs, start-up, porteurs de projets innovants… Une trentaine d’acteurs de l’économie numérique se sont déjà associés à Dataconnexions : mastodontes technologiques (Google, Microsoft, Orange), entreprises publiques (La Poste, SNCF), écoles et centres de recherche (Inria, Epita…), entreprises conseils (McKinsey & Company), pôles de compétitivité (Cap digital, Silicon Sentier…)… Réunis le 16 février devant la presse, tous confirmèrent leur intérêt pour l’open data, dont la vertu démocratique cache aussi un important potentiel économique, en terme de création d’emplois notamment.
Car si le site data.gouv.fr permet déjà à chacun de consulter des données diverses et variées (plus de 350 000 jeux disponibles, concernant les dépenses et recettes du budget de l’Etat, la localisation des services publics, les mesures de qualité de l’environnement…), le chantier de leur traitement reste immense. Pour Séverin Naudet, le jeune président d’Etalab (35 ans, ancien conseiller de François Fillon sur le multimédia), l’enjeu est « d’encourager la création de services innovants », « d’accélérer le développement d’un écosystème de l’open data français » permettant une réutilisation des données publiques qui seront agrégées, compilées, enrichies, éclairées. Car les données, une fois qu’elles sont livrées telles quelles, brut de décoffrage, sans filtrage, sans accompagnement explicatif, restent souvent indigestes, voire opaques, par leur austérité et leur raideur qui tient à distance n’importe quel citoyen.
D’où la nécessité d’une meilleure accessibilité de ces données, à travers des cartographies ou des géolocalisations, par exemple. Dataconnexions s’inscrit dans cette démarche d’élargissement de l’open data à de nouvelles communautés, afin que chercheurs, développeurs, journalistes et étudiants s’emparent des données pour en faire des usages nouveaux et développer des services inédits. Dataconnexions visera durant toute l’année 2012 à connecter entre eux ces réseaux d’investisseurs et de créateurs. Quatre concours seront organisés pour promouvoir et développer les projets les plus innovants (meilleures applications, services ou data visualisation interactives). Le premier de ces concours vient d’être lancé. D’autres initiatives se préparent, comme par exemple un « Hackaton » de développeurs, sorte de marathon organisé par Google le 14 mars au bout duquel les projets de « data scientists » verront le jour.
Un marché au fort potentiel
Séverin Naudet estime que « c’est bien la réutilisation qui donne leur valeur aux données. »
« Ce qui importe, ce n’est pas ce qu’elles sont, mais ce qu’on peut en faire ou surtout ce que les entrepreneurs, les citoyens, les journalistes en feront », insiste-t-il.
L’idée est de favoriser « l’émergence d’une place de marché global de la donnée, porteuse de croissance et d’emplois ». Selon une étude de la Commission européenne, le potentiel du marché de la réutilisation s’élevait en 2010 à plus de 30 milliards d’euros et à 70 milliards en 2011.
Quelle que soit la réalité, encore difficile à mesurer, du potentiel de développement d’activités généré par l’open data, son impact « politique » sur la manière d’envisager la relation entre les citoyens et l’Etat semble prometteur. Comme le soulignait récemment le sociologue Dominique Cardon, auteur de La Démocratie internet (Seuil), l’open data permet d’éliminer « le paternalisme » de l’Etat en favorisant une forme d’expertise des citoyens par l’accès à l’information, en encourageant, via le principe de transparence, la responsabilité des élus, en donnant les conditions d’un dialogue plus riche entre Etat et citoyens…
Au-delà du business attendu, l’Etat doit aussi « accepter de lâcher ses propres données sans savoir ce que les citoyens en feront », souligne Cardon. En se saisissant des données publiques, la société civile aurait la possibilité de recadrer les débats publics à sa manière. Ce dialogue plus symétrique et plus riche avec les gouvernants forme l’enjeu le plus fort, et peut-être le plus incertain aujourd’hui, de l’open data, une révolution politique discrète mais décisive.
Jean-Marie Durand
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