Un an après la mort du jeune Michael Brown dans les rues de Ferguson, le « New Yorker » publie cette semaine une interview de Darren Wilson, le policier qui a appuyé sur la détente. Au-delà de certains commentaires de l’homme lui-même, le récit met en lumière la mentalité au sein de la police et son organisation parfois ahurissante.
Le 9 août 2014 tard dans la soirée, Michael Brown, un jeune Afro-Américain de 18 ans, dérobe une boîte de cigarillos dans une boutique à Ferguson, dans la banlieue de Saint Louis (Missouri). Accompagné de son ami Dorian Johnson, il se balade dans le quartier, avant de croiser le chemin du policier Darren Wilson. Après une courte altercation, le jeune homme est abattu par l’officier. Très vite, le quartier s’embrase et crie à l’injustice et au racisme de la police. Selon plusieurs témoignages largement relayés par les médias, Darren Wilson aurait tiré dans le dos de Michael Brown alors que celui-ci, non-armé, aurait eu les mains en l’air.
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Loin de se calmer, la situation dégénère de nouveau à Ferguson, lorsqu’en novembre 2014, le grand jury décide de ne pas inculper l’officier, estimant qu’il n’avait pas enfreint la loi. Une version des faits appuyée par deux rapports du Département de la Justice américain, dont les conclusions contredisent la version des médias qui se basent principalement sur les dires de son ami Dorian Johnson.
Alors que le spectre du racisme anti-noir ressurgit aux Etats-Unis – avec la tuerie de Charleston et la mort de Freddie Gray à Baltimore, cette année – le New Yorker est allé à la rencontre de Darren Wilson, de sa famille et des personnes qui gravitent autour de l’incident de Ferguson, pour tenter d’éclaircir les zones d’ombres.
Les noirs recevaient en moyenne 35 fois plus de contraventions que les blancs
Dans cette interview, le journaliste s’efforce de comprendre le contexte dans lequel a évolué Wilson avant le drame. La formation des officiers est par exemple bien plus axée sur le combat que la gestion des relations humaines. En tout, les cadets reçoivent 58 heures de cours de tirs et 49 heures de tactiques de défense, pour seulement 10 heures de communication et 8 heures de « tactiques de désescalade » (sic).
L’arbitrage n’est pas étonnant quand on sait que le gouvernement local « compte souvent sur les amendes générées par les PV et les infractions pour équilibrer son budget », comme indique le New Yorker. Le journal souligne aussi que certains officiers ne seraient payés plus que 10 dollars de l’heure.
Pour son premier poste, Darren Wilson est d’abord muté dans la police Jennings, au sein d’un service réputé raciste. Il n’y reste que trois ans, car son commissariat ferme après une affaire de corruption ainsi qu’une bavure en 2011, alors qu’un policier a tiré sur une voiture en fuite avec un bébé à bord.
Sept mois plus tard, Darren Wilson intègre le commissariat de Ferguson, avec comme chef, Barb Spradling, qui deviendra sa future femme. Ici l’ambiance ne diffère pas tellement de Jennings. La ville dépense quatre fois plus dans l’achat d’uniformes flambants neufs que pour la formation de ses agents de police. Alors que la communauté noire est largement majoritaire dans la zone couverte, sur 53 policiers, seulement 4 sont afro-américains.
Le rapport du Département de la Justice américain note étalement que “les officiers de police étaient sanctionnés lorsqu’ils ne mettaient pas suffisamment de contraventions”, écrit le New Yorker. Entre 2012 et 2014, les noirs recevaient en moyenne 35 fois plus de contraventions que les blancs.
Ici, policiers et communauté afro-américaine se regardent en chiens de faïence. D’un côté, le racisme des policiers (l’un d’entre eux raconte que dans les années 1970 les « nègres » étaient considérés comme « des voleurs »). De l’autre, des jeunes des quartiers, livrés à eux-mêmes à cause d’une figure paternelle parfois absente. Selon le New York Times, Ferguson est la ville ayant la plus grande proportion de résidents noirs « absents« , soit en prison ou décédés.
« Tu es peut-être blanc mais ils te respectent. Pourquoi peuvent-ils te respecter toi et pas moi ? »
A la sortie de l’académie de police, Darren Wilson ne veut pas rester derrière un bureau à faire de la paperasse, il veut de l’action, avec l’espoir que passer du temps dans une zone difficile le fera progresser plus rapidement dans sa carrière.
Là-bas, il découvre une zone qui compte 90 % d’Afro-Américains, et un habitant sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté. Un environnement nouveau, un « choc des cultures », comme il le qualifie, pour lequel il ne se sent pas préparé. Alors il demande conseil à son formateur, blanc, mais qui a grandi dans les environs et entretient de bonnes relations avec les résidents. « Tu es peut-être blanc mais ils te respectent. Pourquoi peuvent-ils te respecter toi et pas moi ? », lui demande Wilson.
Selon les dires de son formateur, le cadet semble parvenir à s’intégrer. D’ailleurs, lorsque le commissariat de Jennings ferme, il veut à tout prix continuer dans un quartier similaire. « J’aime la communauté noire […] il y a des gens qui te font juste mourir de rire. »
Une « culture différente »
Derrière cette affection de surface pour la communauté afro-américaine, Darren Wilson lâche plusieurs commentaires douteux au cours de l’entretien avec le New Yorker. Interrogé sur les raisons de la criminalité à Ferguson, il estime que le chômage n’explique en rien la situation. « Il manque du travail partout », lance-t-il. « Je pense qu’il y a surtout un manque d’initiative » de la part des jeunes des quartiers sensibles, qu’il dit « absorbés par une culture différente ».
Qu’entend-il par « culture différente » ? Devant cette formulation raciste, le journaliste lui demande des précisions.
« [Je parle de] la culture de pré-gang, où tu ne fais que courir dans les rues, où tu ne te préoccupes pas d’aller travailler le lendemain matin, mais seulement de ta gratification immédiate. […] La même culture que dans tous les quartiers pauvres. »
Lui, assure que la race n’a jamais affecté sa façon d’exercer son métier : « Quand un flic débarque c’est ‘Y a les flics !’ jamais ‘Oh merde, les flics blancs sont là !’«
« Est-ce que je pense à quelle personne il était ? Pas vraiment »
Vient le récit de cette fameuse soirée du 9 août. La rencontre entre Michael Brown et Darren Wilson. Les témoignages apportés divergent. Le rapport du Département de la Justice et l’autopsie semblent plutôt confirmer les dires de l’officier. Michael Brown l’aurait frappé à coups de poings, avant qu’il ne décide de se saisir de son arme pour tirer une première fois. Touché, l’adolescent aurait d’abord choisi de s’écarter, avant de s’énerver et de saisir le canon du revolver. Le flic craque et lâche la rafale. Pas moins de 10 coups de feux sont tirés, dont six atteignent la cible. « Contrairement au premiers reportages des médias, aucune balle n’a touché Brown dans le dos », souligne le New Yorker.
Lorsqu’on lui demande s’il pense à la victime, Darren Wilson détourne la question. Les parents de Michael Brown ayant engagé des poursuites judiciaries à son encontre, il préfère rester prudent. Avec l’insistance du journaliste, il finit par répondre :
« Est-ce que je pense à quelle personne il était ? Pas vraiment, parce que ça ne compte pas pour le moment. Est-ce que je pense qu’il a eu la meilleur éducation possible ? Non. Pas du tout. »
Six semaines plus tard, le journaliste parvient à lui tirer d’autres commentaires. Darren Wilson lui confie que, pris dans le tourbillon qui a suivi l’événement, il n’a pas vraiment pris le temps de se poser la question, de se demander qui était Michael Brown. « Je ne l’ai connu que pendant ces 45 secondes durant lesquelles il a essayé de me tuer. »
« Là où les gens ne sont pas mélangés »
Le tourbillon justement. Depuis l’événement, Darren Wilson dit être inquiet pour sa sécurité et celle de ses proches. En mars dernier, il fait enregistrer sa femme anonymement à l’hôpital pour son accouchement. En revanche, il affiche fièrement les lettres de soutiens qu’il a reçues et les nombreux dons, qui lui ont d’ailleurs permis de déménager. Peu de personnes connaissent sa nouvelle adresse. Il n’a pas pu reprendre son poste au commissariat car sa présence « pourrait mettre les autres officiers en danger », lui a-t-on expliqué.
Hormis deux semaines à faire l’inventaire dans un magasin de chaussures, Darren Wilson n’a pas exercé d’activité professionnelle depuis l’événement. S’il ne se prive pas de sortir, Darren Wilson ne se montre tout de même que dans certains endroits:
« On essaie d’aller à des endroits – comment je pourrais dire ça correctement ? – avec des gens qui pensent comme nous. Là, où les gens ne sont pas mélangés. »
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