Commencée en novembre 2017, cette enquête du New York Times expose les accusations de vingt-huit hommes, mannequins et assistants, contre les photographes Mario Testino et Bruce Weber. Si ce dernier avait déjà été mis en cause fin 2017, c’est la première fois que Testino, un des plus grands noms dans la photographie de célébrités, est aussi accusé.
Il y a d’abord eu le photographe Terry Richardson, banni une première fois des pages de Condé Nast en 2014 puis en 2017 suivant l’affaire Weinstein, accusé de comportement inapproprié envers les mannequins qu’il shootait. Début décembre, c’est le photographe Bruce Weber qui est mis en cause par le mannequin homme Jason Boyce, qui l’accuse d’attouchements non consentis. Ce weekend, un troisième nom a été ajouté à la liste de photographes accusés de harcèlement sexuel : Mario Testino, 63 ans, photographe d’origine péruvienne connu pour ses portraits iconiques de célébrités. C’est lui qui réalise les portraits de Lady Di, ou immortalise le couple royal Kate et William lors de l’annonce de leurs fiançailles.
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Des « exercices de respiration » qui tournent mal
Publiée samedi 14 janvier, une grande enquête du New York Times donne la parole à plus d’une vingtaine hommes accusant Weber et Testino d’agression sexuelle. Quinze mannequins hommes – anciens ou actuels – prennent la parole contre Bruce Weber, racontant des sessions privées où le photographe leur demandait de se déshabiller et de se toucher, puis se livrait lui-même à des attouchements.
L’un d’entre eux, Robyn Sinclair, mentionne des « sessions de respiration » censées détendre les mannequins, qui dérivaient souvent en tentatives d’attouchement. C’était apparemment une pratique courante du photographe de 71 ans, qui aimait passer du temps avec ses futurs mannequins avant de les shooter : le mannequin Rudi Dollmayer rapporte qu’un terme a même été inventé pour qualifier sa pratique douteuse, « Il va se faire Brucifier. »
En 2011, Josh Ardolf, vingt ans, pose sous l’objectif de Weber pour Vogue Hommes International. Weber le fait poser nu, puis, pour le détendre, le pousse à faire un exercice de respiration qui dérive vite en attouchement. « Je me suis senti impuissant, raconte Josh Ardolf. Comme me l’a dit mon agence, il a beaucoup de pouvoir. Il a réalisé beaucoup de grosses campagnes. Tout cela était bien présent dans mon esprit. ‘Je ne peux pas tout lâcher. Je suis déjà arrivé si loin.' » Dans un communiqué diffusé par ses avocats, Bruce Weber nie les quinze accusations faites à son encontre.
« C’est un prédateur sexuel »
En plus des nouvelles plaintes contre Weber, le New York Times révèle une longue série d’accusations contre le photographe péruvien Mario Testino, certaines datant du milieu des années 1990. Treize hommes, assistants du photographe ou mannequins ayant posé pour lui, décrivent le comportement inapproprié du photographe, grand ami des stars et des marques de luxe. « C’est un prédateur sexuel, annonce le mannequin Ryan Locke, qui a posé pour Testino dans les années 90 pour une campagne Gucci. Lors du shoot, le photographe fait sortir toute l’équipe, ferme la porte à clé et grimpe sur le mannequin nu en lui disant « Je suis la fille, tu es le garçon ». « Je lui ai jeté ma serviette à la figure, je me suis rhabillé et je suis parti, » raconte Ryan Locke.
Interrogé par le New York Times, un agent de mannequin explique qu’il était courant de mettre en garde les mannequins contre certains photographes au comportement douteux. Testino était bien connu pour ses séances de « préparation » à un shoot, lors de laquelle un mannequin devait poser nu pour lui dans une suite du Chateau Marmont, hôtel à Los Angeles. « Mais si vous disiez que vous ne vouliez pas travailler avec des noms comme Bruce Weber ou Mario Testino, il valait mieux pour vous de laisser tomber et d’aller travailler dans une autre industrie. »
L’enquête révèle également que le photographe n’aurait pas seulement jeté son dévolu sur ses mannequins. Plusieurs assistants de Testino rapportent des comportement inappropriés ou tentatives d’attouchement, comme Hugo Tillman, qui raconte que le photographe lui a sauté dessus dans une chambre d’hôtel. Tillman démissionne une semaine plus tard. « Il se comportait mal dans les chambres d’hôtel, les banquettes arrières des voitures et les vols en première classe, se souvient Roman Barrett, qui a assisté Testino à la fin des années 90 et accuse le photographe de s’être masturbé devant lui. Puis les choses revenaient à la normale, et vous aviez l’impression d’avoir tout inventé. »
En réaction à l’article du New York Times, Condé Nast – le groupe de presse qui publie Vogue, Glamour et GQ – a publié un communiqué signé par son PDG Bob Sauerberg et sa directrice artistique Anna Wintour annonçant que le groupe cesserait toute activité avec les deux photographes incriminés, rapporte le Business of Fashion. Mais un refus de travailler n’est peut-être pas suffisant. L’affaire Weber-Testino est une preuve de plus d’une industrie qui se protège elle-même : tout le monde était au courant des écarts de Testino. « Je l’ai vu glisser la main dans le pantalon de quelqu’un au moins dix fois, révèle Thomas Hargreaves, un producteur de shoot qui a travaillé avec Testino entre 2008 et 2016. Mario se comportait souvent comme si c’était une grosse blague. Mais ce n’était pas drôle. Et les mecs placés dans cette situation ne savaient pas comment réagir. Ils me regardaient en ayant l’air de dire, ‘Qu’est ce qui se passe ? Comment je me sors de ça ?’ C’était terrible. »
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