Nouveau mythe marseillais, Plus belle la vie a invité Les Inrocks à visiter ses studios. Bienvenue au Mistral.
Article extrait de notre numéro spécial consacré à Marseille et sa région, en vente à partir du 27/04.
A l’OM, au savon, au rap et à une certaine tendance à l’exagération s’ajoute désormais un nouvel élément dans la mythologie marseillaise : Plus belle la vie (PBLV). Difficile de passer à côté de l’institution qu’est devenu le feuilleton de France 3 en sept ans et plus de 1 500 épisodes.
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Car qui dit Marseille dit Mistral : le vent, Frédéric le poète, et la place emblématique du feuilleton. Un lieu fantasmé que les touristes persistent à chercher dans la ville, demandant leur chemin à l’Office du tourisme ou aux locaux amusés. En réalité, la place du Mistral se trouve dans l’un des studios du pôle média de la Belle de Mai, juste à côté de la gare de Marseille-Saint-Charles. Y entrer revient à pénétrer dans un univers familier et ultraréaliste, que l’on regarde la série ou pas.
Là se croisent les “mistraliens” (terme inventé pour désigner le cast permanent de la série), mais aussi et surtout une centaine de techniciens, costumières, décorateurs, etc., qui toute la journée s’affairent à recréer une vie de quartier fantasmée – où les histoires se croisent à grands renforts d’intrigues un tout petit peu tirées par les cheveux. A l’évocation de Plus belle la vie, certains friseront le belsunce breakdown rappelant la nullité des productions nationales en matière de série, dont PBLV est souvent pris comme exemple symptomatique : “Les Américains ont eu Arrested Development, ils ont 30 Rock, Breaking Bad, How I Met Your Mother, on a Plus belle la vie.” Ben oué.
PBLV, une sorte de Feux de l’amour à la française
Mais en la matière, les choses ne sont pas vraiment comparables : Plus belle la vie n’est pas une série mais un soap opera sur le modèle de Coronation Street (feuilleton britannique diffusé depuis le 9 décembre 1960) ou de Guiding Light, soit Haine et passion en français, feuilleton dont les personnages se sont détestés passionnément de 1952 à 2009.
Pour les béotiens, il s’agirait donc plutôt de comparer Plus belle la vie aux Feux de l’amour. Et là, toutes proportions gardées, c’est quand même un peu moins la honte. On ne se risquera pas à expliquer le succès du feuilleton par ses qualités purement artistiques et son génie scénaristique. Une chose est pourtant sûre, il a réussi à trouver son public : en moyenne plus que le JT de France 2 soit à peu près 5 millions de téléspectateurs et pas uniquement des ménagères de moins de 50 ans.
La fanbase de PBLV est plutôt hétéroclite. Ainsi recense-t-on dans nos connaissances un graphiste, une étudiante en master de sociologie ou un journaliste dans un magazine dit “branchouille” ayant tous pour point commun d’être devant leur télé à 20 h 10, sainte heure de diffusion. “Il faut voir les premiers épisodes, c’est hyper arty”, pourra même lâcher l’un deux, par ailleurs amateur du cinéma de De Palma ou Depardon. Second degré ou pas ? La frontière est mince.
Une grosse constante pourtant : l’attachement affectif à la série. Qu’il soit frontal et direct comme celui des fans qui envoient des montagnes de lettres à la prod ou plus décalé comme celui de notre graphiste qui boit tous les matins son café dans un mug PBLV. A 14 heures, dans les locaux du pôle média de la Belle de Mai, c’est plutôt détendu. Dans le bureau de ce qu’on nous présentera comme “l’artistique”, Mathieu Bollet, jeune directeur artistique, finit sa clope à la fenêtre. L’ambiance est à la cool et la blague facile.
Sur les murs, des posters de Star Wars et des clichés célèbres d’Iggy Pop, Johnny Cash, Takeshi Kitano ou Clint Eastwood imprimés à l’arrache. Entre deux regrets quant au manque d’argent qualifié de “phénoménal”, Mathieu lâche :
“J’aimerais bien qu’on arrête de considérer Plus belle la vie comme quelque chose de purement kitsch, pour moi c’est un objet pop, et il y a une certaine noblesse à fournir tous les jours un produit bien fait à des gens qui aiment ça et surtout sans se moquer d’eux.”
Vu comme ça, en effet. Tous les jours, du petit matin à 18 heures, se tourne avec application et un tout petit peu en speed l’équivalent d’un épisode. A l’extérieur ou en studio, les séquences s’enchaînent suivant les décors et personnages sans ordre chronologique. A midi, cette grosse machine se met en pause durant une heure où tout le monde (acteurs compris) se retrouve dans une sorte de hangar aménagé avec de grandes tentes festives abritant un self plutôt appétissant.
L’occasion ce jour-là de discuter à la machine à café avec Pascale Roberts. Actrice “déjà-connue-avant”, elle interprète une dénommée Wanda, mère indigne un peu filoute. Son café terminé, elle nous présente son chien (Socquette, 10 ans), qui lui aussi a joué dans le feuilleton, une scène coupée au montage. Déception générale. En se ressaisissant, ayant appris qu’il s’agissait des Inrocks, Pascale nous glisse naturellement qu’elle adore Bruce Springsteen et Julien Doré avant de retourner à sa table où d’autres acteurs de tous âges finissent leur colombo de poulet accompagné de riz à la sauce coco.
Au programme de l’après-midi, le tournage de séquences dans de nouveaux décors et avec un nouveau personnage. Impossible donc de prendre des photos, pour ne pas filer d’indices sur l’intrigue, sur les écrans dans deux mois, compte tenu du délai entre le tournage et la diffusion. On est un peu parano sur le sujet. Les acteurs eux-mêmes ne sont pas au courant de l’évolution de leur rôle, histoire de préserver leur spontanéité mais aussi et surtout de garantir une certaine confidentialité. Pas de spoilers, donc.
Une industrie pour les intermittents du spectacle
On apprendra seulement (même si on s’en doutait un peu) que, depuis sept ans, chaque épisode est construit sur le même modèle (une intrigue A qui s’étale sur deux ou trois mois, une intrigue B pour la semaine et une C, plus légère, qui, le temps d’un soir “permet d’attraper le spectateur occasionnel”) conçu par un pool de scénaristes à Paris. Ce sont les seuls à être restés “sur la capitale” comme on dit ; le reste de l’équipe permanente étant aujourd’hui basée à Marseille.
A ce propos, “quand les Marseillais nous ont vu arriver, ils se sont dits ‘des Parisiens ?’ puis il y a eu un vrai sentiment d’appartenance”, explique Serge Ladron, directeur de production dans son bureau du premier étage de la Belle de Mai.
Effectivement, parler de Plus belle la vie à un Marseillais promet de lancer une discussion impliquant des affects positifs ou négatifs. Par exemple, Géraldine, jeune expatriée à Londres confesse :
“Plus belle la vie, je m’en fous pas mal en Angleterre, mais quand je suis chez ma mère, ça fait partie de la tradition. Etant donné que je loupe souvent plusieurs mois d’intrigue, quand je retombe dessus, il y a souvent eu mille affaires de viols, des tonnes de coke déversées sur le Mistral, des alertes enlèvement, trente meurtres, huit nouvelles histoires d’amour et autant de nouveaux personnages. J’y comprends pas grand-chose mais c’est pas vraiment ça l’important.”
Si la région Paca est la troisième en termes d’audience (derrière la Bretagne et le Nord-Pas-de- Calais), il existe aussi une autre forme d’engouement local pour la série. Car à Marseille, il y a désormais une “industrie Plus belle la vie” pour les intermittents du spectacle. Ainsi, une centaine de figurants locaux par semaine et autant de techniciens augmentent leur nombre d’heures nécessaires afin de justifier leur statut. Une fierté pour la prod. Tout comme la liberté de ton dont Serge Ladron se vante.
Sur la forme en effet, la mixité du casting de PBLV pourrait montrer l’exemple à d’autres productions françaises. Sur le fond, on s’enorgueillit de “traiter de tous les sujets sans faire semblant, sans barrières si ce n’est la bienséance”. Effectivement, il est souvent question de drogue, de sida, d’homosexualité, de mixité, d’a priori sociaux. Et si le feuilleton brille par sa neutralité politique, on entend parfois pointer quelques petites remarques subversives – comme l’allusion récente à la nécessité pour le commissariat de faire du chiffre par tous les moyens.
A part ça, on connaît tous une mamie qui s’est mise à accepter, comprendre ou envisager l’homosexualité en suivant les aventures de Thomas, ouvertement gay dans la série. A la bien, cousin.
Diane Lisarelli
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