Deux ans après les révolutions arabes, les médias sont le terrain de nouveaux humoristes qui tentent de subvertir un ordre politique très autoritaire.
Que sont devenus les trésors d’humour et de dérision que l’élan révolutionnaire a apportés au monde arabe au moment de ses révolutions ? Parfois muselés, beaucoup d’humoristes, de dessinateurs, de cinéastes ou de journalistes prennent pourtant encore le contre-pied du climat de tension politique (Syrie, Egypte…). Parmi ces trublions engagés, le plus célèbre est sans doute l’animateur égyptien de l’émission satirique aux trente millions de téléspectateurs Al Bernameg (« Le Programme »). Bassem Youssef, accusé d’insultes envers l’islam et le président Mohamed Morsi, a été arrêté, puis libéré sous caution. Invité par l’Ecole normale supérieure de Paris en avril dernier, cet homme de télé demeure le plus populaire d’Egypte, et a même été classé par Time parmi les 100 personnalités les plus influentes dans le monde en 2013. Son émission hebdomadaire, qui tourne en dérision les discours officiels des hommes politiques islamistes, forme un symbole de cette grande avancée depuis la chute d’Hosni Moubarak : on peut désormais se moquer des autorités religieuses et politiques, rire de l’absurdité d’un prédicateur religieux affirmant, par exemple, sur une chaîne publique, que les femmes sont responsables des viols puisque « la femme a des cuisses suffisamment fortes pour résister aux assauts des hommes »…
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Passé de YouTube à une chaîne révolutionnaire (ONTV), puis à une chaîne publique (CBC), de quelques vidéos filmées dans son salon à une célébrité internationale, le parcours de ce cardiologue de formation illustre sa vision de la révolution – plus un « processus » qu’un « événement » – et sa croyance résolue dans les pouvoirs du rire. Avec son regard vif et ses gestes de mime, Bassem se revendique de la lignée des clowns de rue qui se moquaient des sultans de l’Empire ottoman, trouvant dans la satire le moyen le plus efficace d’éveiller les consciences, surtout dans un pays comme l’Egypte où le taux d’analphabétisme reste très fort. S’il se fixe lui-même des limites sur les sujets sensibles comme la religion, il n’est plus question de céder aux attaques sur la liberté d’expression : « Si je me tais par peur aujourd’hui, demain je me tairai parce que je n’aurai plus le choix », affirme-t-il avec force, avant de remercier ironiquement les Frères musulmans de lui fournir tant de matière pour ses blagues…
« Le rire est un rire de survie »
Dans tout le monde arabe, une constante s’impose : la peur est tombée, et cela malgré les variations propres à chaque pays. En Syrie, par exemple, explique Charif Kiwan, le porte-parole d’Abou Naddara, un collectif de réalisateurs de courts métrages comiques diffusés sur internet : « Le rire est un rire de survie, qui veut dire que nous sommes vivants, contrairement à ce que le régime voudrait et à ce que le monde croit. » Et la prise de risque est réelle, comme en témoigne l’agression du dessinateur humoristique Ali Ferzat, à qui l’on a brisé les mains en guise d’avertissement…
En Tunisie, dans la continuité de l’explosion artistique de la révolution, on ne compte plus les caricaturistes, chanteurs ou humoristes moquant la répression policière, ou mettant même parfois en question le dogmatisme religieux, tel Z, resté anonyme. Mais ces électrons libres conservent une grande méfiance par rapport aux médias traditionnels, encore verrouillés par le pouvoir comme le rappelle Z : « La liberté de la presse, c’est l’objectif, mais on ne peut pas l’atteindre seuls. Internet m’offre une telle visibilité que je peux très bien me passer des moyens de diffusion classiques. » L’enjeu est posé. A la presse maintenant de suivre la piste de ces éclats de rire pour représenter autre chose qu’une trêve de plaisanteries.
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