A la tête du conseil général depuis 2001, la gauche prend très au sérieux les scrutins départementaux du 22 et 29 mars. Laboratoire historique de l’extrême droite, le département est présenté comme une des meilleures chances de victoire du parti lepéniste, avec le Var et l’Oise. Les manœuvres habiles du duo Bompard – Maréchal-Le Pen y ayant fait éclater l’UMP.
A Avignon, la ségrégation socio-spatiale est une évidence, clairement matérialisée par les enceintes médiévales : à l’intérieur, la Cité des papes et ses tons ocres abrite des commerçants, des professions libérales et des étudiants ; à l’extérieur, les “quartiers de la rocade”, une alternance chaotique de petits pavillons sécurisés et de barres d’immeubles grises, hébergent ces immigrés originaires d’Italie et d’Afrique du nord.
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Ici, l’hyper-pauvreté a fait son apparition : “Avignon est une des villes les plus inégalitaires de France, tout comme le département du Vaucluse”, précise Isabelle Delaunay, sociologue à l’EHESS et au Centre Norbert Elias. Ce sont ces inégalités économiques, bien plus que la pauvreté relative du département, qui expliquent une implantation très précoce du Front national, dès 1995 à la mairie d’Orange.
Apathie politique
Premier département frontiste lors de la présidentielle de 2012 (27 %), le Vaucluse a vu ensuite élire deux députés d’extrême droite, Marion Maréchal-Le Pen (FN) et le maire d’Orange, Jacques Bompard (Ligue du Sud). Ici, l’extrême droite a profité d’un terreau sociétal très favorable : un territoire rural sans grande ville, une population vieillissante, une forte présence de rapatriés pieds-noirs d’Algérie, un mode de vie à dominance pavillonnaire (aux abords d’Avignon, la zone commerciale d’Auchan-Le Pontet est la plus grande d’Europe).
Enfin dans le Vaucluse, les prises de pouvoir successives du FN, bien que caractérisées par les affaires, le grotesque et les conflits d’intérêts, n’ont pas remobilisé l’électorat. Bien au contraire, une casse méthodique du milieu associatif a entretenu une profonde apathie politique et donc l’abstention (52 % lors des dernières européennes).
Le basculement à l’extrême droite sera-t-il évité le 29 mars ? A nouveau lors des dernières européennes, l’extrême droite vauclusienne a élargi son électorat (36,4 % des voix). Qu’en sera-t-il pour les scrutins départementaux ? “Je ne crois pas à une victoire du Front national : nous ne sommes pas dans la même élection, avec un mode de scrutin à deux tours ” nuance Claude Haut, président PS sortant, conseiller général de Vaison-la-Romaine.
Depuis 2001, aux cantonales, le PS limite aussi la casse en présentant une liste conjointe avec Europe Ecologie-Les Verts, à laquelle s’ajoute selon les secteurs le Front de gauche. En filigrane, on comprend que le nord-Vaucluse est pensé par les socialistes comme “perdu d’avance”, fief de Jacques Bompard, député-maire d’Orange, incontournable dans le nord du département. Personnage autoritaire et provocateur, militant à l’extrême droite depuis les années 60, de l’OAS aux mouvements Occident et Ordre nouveau, Jacques Bompard a claqué la porte du FN en 2005 avant de créer sa propre formation, la Ligue du Sud.
Le sort du Vaucluse se jouera ailleurs, à Carpentras, à Valréas ou encore sur les cantons d’Avignon. Esprit alerte, profil atypique, Darida Belaïdi est la candidate du PS sur Avignon-1 : “Je suis issue des quartiers et je sais que la politique du FN y ferait des ravages. Il est crucial de ne pas abandonner ces territoires”, explique-t-elle. Depuis des semaines, Belaïdi arpente courageusement le terrain pour convaincre les quartiers à se rendre aux urnes.
Rumeurs et contre-vérités
Avec la candidature du frontiste Philippe Lottiaux sur Avignon-3 la gauche sait qu’elle se maintiendra difficilement : “Je suis confiant dans mon bilan. Cependant je garde une position lucide, reconnaît André Castelli, candidat sortant PCF, tout comme Marion Maréchal-Le Pen, Lottiaux incarne cette nouvelle génération qui a banalisé l’extrême droite : discours en apparence démocrate, langage contenu”.
Parachuté en 2013, Philippe Lottiaux a en effet offert au FN un score inédit aux dernières municipales d’Avignon (29,4 % au premier tour). “Nous voulons mieux gérer le personnel et les finances publiques” nous explique-t-il. Dans les faits, le parti lepéniste suit une logique libérale-conservatrice, caractéristique du Sud-Est, consistant à détruire les politiques sociales. Très habile, Lottiaux nuance aussi le bilan négatif d’Orange, gouverné par l’extrême droite depuis 1995 et caractérisé pourtant par la baisse de la population, le recul des investissements privés… Enfin, dans la pure tradition de l’extrême droite, Lottiaux fait courir une série de rumeurs et de contre-vérités, comme le “financement communautariste et préférentiel du département pour les abattoirs halal”.
Autorité, défense des valeurs traditionnelles et de l’identité : l’UMP est présent dans toutes les circonscriptions et fait aussi campagne contre “ceux qui profitent des aides sociales”. En effet, “le Vaucluse est un laboratoire, celui de la recomposition des droites, analyse Amine El Khatmi, adjoint au maire PS au quartier Nord, de manière précoce, la droite populaire vauclusienne, à l’instar de Marie-Josée Roig [maire UMP d’Avignon de 1995 à 2014] a repris à son compte les thèses défendus par l’extrême droite”. Frôlant le ridicule, le député UMP Julien Aubert a même lancé en 2013 le “Rassemblement Bleu lavande”.
Querelles intestines à l’extrême droite
Les électeurs préfèrent pourtant l’original à la copie : le vote UMP s’est écroulé, tout particulièrement après le départ la génération de “droite décomplexée” incarnée par Thierry Mariani. Désormais le flottement à l’extrême droite est tel, que plus aucune alliance ne provoque l’indignation. Dernières connivences en date, l’élection du président (UMP) de l’agglomération d’Avignon avec les voix du FN, n’a provoqué aucune réaction publique.
Enfin, la gauche pourrait tirer avantage des luttes intestines de l’extrême droite vauclusienne. Depuis les sénatoriales de 2014, les rivalités sont devenues vives entre Bompard et Marion Maréchal-Le Pen : faute d’accord entre les deux formations, l’extrême droite a même laissé s’échapper un mandat de sénateur. Le parti de Bompard sera présent dans cinq cantons, où à chaque fois il rivalise avec le FN. Pourtant “entre nous et la Ligue du Sud sur le fond il y a peu de différences” reconnaît Philippe Lottiaux. D’ailleurs, comme chez les Le Pen, pour Jacques Bompard la politique est une affaire de famille : à Bollène, sa femme Marie-Claude Bompard est la candidate sortante ; sur le canton d’Orange, il a placé son fils, Yann.
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