L’exploration de l’ordinateur d’un émir de Daech a donné à Kamal Redouani la matière d’un livre et d’un documentaire. Une enquête édifiante et terrifiante.
C’est une incroyable découverte qui a eu lieu lors de la chute de Syrte, en Libye, à la fin de l’année 2016. Spécialiste du monde arabe, déjà auteur d’une enquête de dix ans au cœur du jihad, Kamal Redouani a réussi à mettre la main sur l’ordinateur personnel d’un émir de l’Etat islamique. Grâce à cette source exceptionnelle, le journaliste raconte avec force détails le mode de gouvernance de Daech et la vie quotidienne sous sa bannière noire dans un ouvrage et un documentaire passionnants.
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Cette enquête à haut risque a débuté par un coup de téléphone en décembre 2016. La voix tremblante, Omar, un jeune combattant libyen, le presse de le rejoindre à Syrte : “Je ne peux rien te dire mais il faut absolument que tu reviennes vite.” Deux jours plus tard, Redouani est sur le terrain. L’ambiance est tendue. “Je ne l’ai jamais vu comme ça. Il est nerveux et sur la défensive”, décrit-il.
Le PC personnel d’un haut dignitaire de Daech
Après avoir roulé à toute vitesse sur des chemins de terre, Omar s’arrête dans un endroit bordé de palmiers où se dressent cinq maisons dans une zone tout juste libérée. Redouani apprend que c’est à l’intérieur de cette résidence qu’a vécu Abou Abdellah al-Masri, l’un des dirigeants de Daech les plus craints et respectés, en compagnie de ses quatre épouses et sept enfants. Lors de la prise de la maison et avant que les combattants ne saccagent les lieux, Omar a réussi à mettre la main sur un véritable trésor.
Il s’agit du PC portable de l’émir. En le consultant, Kamal Redouani découvre des centaines de dossiers et sous-dossiers. Parmi ces fichiers, un document répertoriant “des cibles à réduire en poussière prochainement”, dont un plan détaillé d’un quartier financier de New York.
D’abord tétanisé par l’ampleur de la tâche, Kamal Redouani met plus d’un an à trier et analyser cet amas d’informations. Justice, éducation des “lionceaux du califat”, mœurs, économie, objectifs terroristes, tous les arcanes du pouvoir de l’Etat Islamique sont à portée de clics. Ce spécialiste du monde arabe comprend assez rapidement qu’Abou Abdellah al-Masri, l’émir de Syrte, était une pièce maîtresse de l’Etat islamique en Libye.
C’est lui qui validait le transfert des prisonniers, le recrutement de nouveaux membres ou bien les condamnations à mort. A travers son exercice du pouvoir durant deux ans, on découvre les ressorts concrets de la charia. Consommer de l’alcool vous expose à quarante coups de fouet, étudier le droit à une peine de rééducation des principes de l’islam en prison.
Crédit : Collection personnelle de Kamal Redouani © Collection personelle Kamal Redouani
“Celui qui se drogue doit mourir”
Au cours du documentaire, Kamal Redouani retourne dans l’une des geôles de Daech avec un ancien prisonnier. Son tort ? Avoir fumé la chicha avec des amis. Pour ce délit, Oussama, alors âgé de 15 ans, passe trois semaines en prison. “Je me rappelle tout, les coups, les tortures, explique-t-il en touchant le mur de son ancienne cellule. Ils me frappaient jusqu’à ce que je ne puisse plus me mettre debout. Ils nous obligeaient aussi à mettre nos pieds sur une règle puis ils arrachaient nos ongles.”
Comment justifier une politique aussi barbare ? Pour le comprendre, Kamal Redouani s’est confronté à un ancien émir de Daech exilé en Turquie. Le visage masqué, cet homme âgé de 34 ans déclare face caméra : “Celui qui se drogue doit mourir. Celui qui vole doit se voir couper sa main.Tout le monde ne voit pas les choses comme ça mais c’est le vrai islam. Donner la mort, c’est juste.”
“Je l’ai fait. Par exemple, j’ai eu l’information selon laquelle un groupe de gens se droguait. On a fait une descente chez eux. On les a pris, on leur a ligoté les mains, on leur a fait baisser la tête. On a tiré sur chacun d’entre eux. Moi et six de mes gars. Chacun s’est chargé d’une tête.”
“Les non-musulmanes peuvent être esclaves”
Au sein de l’Etat islamique, l’émir est libre d’appliquer la charia comme il l’entend. Il peut incarcérer des personnes sans motif et sans limite de temps. Lors des exécutions, la population est rassemblée pour assister à la sentence. Le règne de la terreur permet de s’assurer une progressive spoliation des biens, la collecte de l’impôt laissant place au vol organisé.
Grâce à un téléphone ayant appartenu à l’une des employées de l’émir de Syrte, Kamal Redouani révèle aussi la vie intime de ses combattants. Alors que la population est astreinte à une discipline ultra-rigoriste de l’islam, les soldats du califat ont droit à la polygamie. “Les non-musulmanes peuvent être esclaves. Tu peux l’enfermer, lui ordonner ce que tu veux, qu’elle soit consentante ou pas”, confirme sans gêne l’émir rencontré en Turquie.
Alors que l’Etat islamique a perdu la quasi-intégralité de son territoire, la menace plane toujours selon Kamal Redouani. “Je suis persuadé que le feu brûle encore. Il ne s’est jamais éteint et il ne s’éteindra pas tant que des hommes comme cet émir de Syrte existent et vivent en liberté”. David Doucet
Kamal Redouani, Dans le cerveau du monstre, Flammarion, 2018 272 p., 19,90 €.
Lire un extrait
Documentaire Daech, dans le cerveau du monstre, 18 septembre à 20 h 50, France 5
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