Dans le Copenhague des années 30, l’histoire vraie du premier homme à avoir changé de sexe. David Ebershoff signe une ode à l’étrangeté, à la fois joyeuse et troublante.
De Certains l’aiment chaud de Billy Wilder à Madame Doubtfire de Chris Columbus ; de Mourir comme un homme de João Pedro Rodrigues à Laurence Anyways de Xavier Dolan, le travestissement et la transsexualité ont donné de belles histoires au cinéma. Côté livres, il faut se gratter la tête pour trouver un exemple un peu convaincant après Marivaux. Une chance que David Ebershoff, écrivain de 43 ans et éditeur chez Random House, se soit intéressé au cas d’Einar Wegener, le premier homme à avoir changé de sexe au Danemark au début des années 30.
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S’inspirant des coupures de presse de l’époque, d’un journal intime et d’une correspondance, l’auteur relate les circonstances de cette métamorphose qui passionna l’Europe des années folles et qu’il va restituer à travers les moeurs d’un couple hors du commun. Artiste exaltée, fille richissime d’un ambassadeur américain, Greta Waud ne fut peut-être pas étrangère à la transformation de son mari. Ebershoff va plus loin : le travestissement est un rêve qu’on fait à deux.
Au début de Danish Girl, dont la première parution remonte à 2001 (Stock), Greta a été lâchée par son modèle, une cantatrice qui lui a commandé son portrait. Elle demande à Einar d’enfiler une paire de bas pour la remplacer. La séance suivante, elle lui tend une robe. Il résiste avant d’y prendre goût. Bientôt, le couple accueille une nouvelle entité en son sein : la jolie et frêle Lili, qui va littéralement absorber son créateur.
Tout en illustrant l’extrême permissivité d’une époque – Greta et Lili/Einar vont au bal et au théâtre… -, ce destin hors normes butte aussi contre des murs d’incompréhension, des portes fermées. Taxée d’homosexualité, puis de schizophrénie, Lili bataille contre la normalité afin de naître à elle-même. Le tour de force d’Ebershoff étant d’y mettre beaucoup de légèreté, d’entrain et de beauté étrange, pour ne pas cantonner la question de l’identité sexuelle à un casse-tête existentiel, mais en faire un jeu, un charmant caprice. Dommage que l’adaptation ciné avec Nicole Kidman et Gwyneth Paltrow n’ait jamais vu le jour : quel film !
Danish Girl (Libretto), traduit de l’anglais (États-Unis) par Béatrice Commengé, 400 pages, 10,80 €
Article paru dans le numéro 888 des Inrockuptibles disponible en ligne ici
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