L’ex-député européen Daniel Cohn-Bendit a sillonné le Brésil pendant la dernière Coupe du monde, à la recherche de la « démocratie corinthiane”, menée par son capitaine, l’immense Sócrates. Il en a tiré un très joli documentaire, bourré de nostalgie et d’espoir, ce soir sur Arte.
1983, Daniel Cohn-Bendit s’envole pour le Brésil. Le pays d’Amérique du Sud vit alors sous le joug de la dictature militaire, en place depuis 1964. Dany va profiter de son voyage pour assister à une partie de football historique, lui le mordu de ballon, qui connaît le déroulé de chaque match de l’équipe de France durant la Coupe du monde 1958 (véridique, on l’a questionné).
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Lors de ce match, la finale du Campeonato Paulista (le championnat national), les joueurs des Corinthians de Sao Paulo, menés par l’ultra charismatique Sócrates, sublime joueur du Brésil et grand frère de Rai (qui fit les beaux jours du Paris Saint-Germain), entrent sur le terrain avec une bannière sur laquelle est inscrit : “Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie.” La Democracia Corinthiana (« démocratie corinthiane ») était née, où l’idée d’une autogestion dans le foot. Un pied de nez aux militaires à la tête du pays. Il n’en fallait évidemment pas plus à Dany le Rouge pour tomber amoureux de cette équipe et de son fonctionnement qui n’avait, dès lors, plus rien d’une utopie.
Un camping-car année 68 !
A bientôt 70 ans, au volant d’un camping-car année 68 (ça ne s’invente pas), Daniel Cohn-Bendit est donc parti, trente ans plus tard, sillonner le Brésil, à l’occasion de la dernière Coupe du monde de football, en juin dernier. Il en a tiré un documentaire, pour Arte, intitulé Sur la route avec Sócrates, dans lequel il se pose cette simple question : Que reste-t-il donc de l’héritage de Socratès ?, décédé en 2011, et de la démocratie corinthiane.
Tout était décidé à l’époque dans le vestiaire des Corinthians : le salaire des joueurs, la couleur des maillots et les préparations d’avant match. Si l’un des joueurs avait la saudade, ce mal du pays si typique des Brésiliens, il pouvait, si l’équipe l’acceptait, rentrer chez lui retrouver sa famille.
De Rio à Brasilia, en passant par Sao Paulo et Salvador de Bahia, c’est plus de 7 000 kilomètres que Dany a parcouru en l’espace d’un mois. Outre l’esprit de Sócrates, Daniel Cohn-Bendit est allé prendre le pouls d’une société qui malgré les apparences de fête et de carnaval, souffre en silence. Une souffrance dont la toute-puissante Fifa (la fédération internationale de football), insistante, pour que le Mondial se tienne selon ses conditions, n’a au passage pas épargné la population locale, causant des déplacements de personnes, sans jamais vraiment se soucier des conséquences.
Un périple au rythme de rencontres fortes en couleurs et en émotions : l’ancien coéquipier de Sócrates Wladimir, Rai, son frère, le musicien de renommé mondiale et ex-ministre de la Culture Gilberto Gil (d’une lucidité remarquable quand il déclare que “quand le ballon roule, c’est lui qui gouverne”), pour nous parler du Brésil d’aujourd’hui, bien loin des paysages de carte postales.
Rencontre avec les Guaranis
Dany ira aussi à la rencontre d’un jeune Indien guarani, invité à la cérémonie d’ouverture de la coupe du Monde qui déroula lui aussi, comme Socratès trente ans auparavant, une banderole où était écrit “Démarcation maintenant!” pour réclamer la préservation des terres indiennes. Censuré en direct et en Mondovision, Dany est allé retrouver le jeune garçon dans son village. Assurément le moment le plus fort de ce documentaire bourré de nostalgie mais d’un peu trop de mise en scène de Cohn-Bendit lui-même, très (trop?) présent à l’écran.
Mais qu’importe les critiques, l’effet est là et fonctionne durant la totalité du documentaire. On reste tristes pour les Brésiliens ; de leur élimination face à l’impérieuse Allemagne en demi-finale (1-7) à leurs conditions de vie (cette jeune représentante du Mouvement des sans-terre qui lance à Dany : “Le socialisme ? Je le pratique tous les jours”, exquis). Sauf que les Brésiliens savent nous surprendre. Ce peuple a depuis longtemps su transformer sa peine et sa misère en sourire. Et ça, personne ne pourra lui contester, ni lui voler. C’est peut-être ça que Dany était parti chercher sur les terres brésiliennes. C’est en tout cas ce qu’il nous a ramené. Et c’est tant mieux.
Sur la route avec Sócrates, de Niko Appel et Ludi Boeken (Fr, 2015, 90 min)
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