Les premières giclées de vitriol de Daniel Clowes sur le rêve américain, dans un recueil de nouvelles inédit en français.
Enfin traduit en français, 20th Century Eightball (raccourci en Eightball) regroupe des histoires courtes publiées par Daniel Clowes entre 1989 et 1996. On y retrouve quelques nouvelles phare comme “Art School Confidential” (adapté au cinéma par Terry Zwigoff) ou “Ugly Girls”, où apparaît une esquisse d’Enid, l’héroïne de Ghost World. A l’opposé de ses romans graphiques, où une narration posée (Ghost World, David Boring), voire complexe (Ice Haven), s’installe dans la durée, Daniel Clowes va ici à l’essentiel. C’est un bouillonnement d’idées et un concentré de rage que ce brûlot – dont les histoires excèdent rarement quatre pages. En peu de cases, parfois même en un seul strip, rapide et percutant, Clowes parvient à saisir un univers dans ses moindres détails, disséquer le mal-être et la mesquinerie, et pointer le ridicule pour mieux en rire.
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Les personnages de Clowes ne sont pas des winners. Ce sont des freaks, des inadaptés sociaux, des gens à la sexualité inexistante ou minable, des “enculeurs de mouches” dans des situations quotidiennes banales. Mal dans leur peau, ils n’ont pas envie de faire partie de la société qu’on leur propose. Ils vivent dans une Amérique où la ville, omniprésente, les emprisonne dans des ruminations sans fin. Ils y tournent en rond (“Un tour dehors”), croisent des individus pour des relations superficielles. Ils sont seuls, ne communiquent pas, s’enferment dans leurs monologues irascibles. Car ces personnages, tout solitaires et déprimés qu’ils soient, s’apitoient moins sur leur sort qu’ils n’en ont après le monde. Ils se promènent, observent, et ce qu’ils voient les atterre. Ils sont désabusés, misanthropes, personne ne trouve grâce à leurs yeux (“Naufragé”, etc.).
Avec un sens pointu de l’ironie et un humour acide, Daniel Clowes exprime sa colère contre l’uniformisation de la culture et la pensée dominante. Il refuse tout endoctrinement, qu’il soit sportif (“Du sport”, et sa relecture sexuelle de la compétition) ou religieux. Il rejette la conformité sociale, méprise le besoin d’appartenance à un groupe, si important pour les gens “normaux”. Il ne se prend jamais au sérieux, pratique l’autodérision (“Du grain à moudre”, ou dans l’intro spécialement dessinée pour cette édition française) et ne rechigne pas devant quelques touches d’absurde et de gratuité (“The Happy Fisherman”, etc.).
Aussi pertinentes qu’à leur parution, les nouvelles d’Eightball constituent une parfaite introduction au vitriol à l’oeuvre de Daniel Clowes et démontrent combien l’apport de celui-ci a pu être décisif pour la bande dessinée d’auteur américaine.
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