Avec ses femmes puissantes, ses hommes délicats et ses lignes amples, Damir Doma compte parmi les créateurs les plus prometteurs du moment. Il défile ce week-end lors de la fashion week homme parisienne. Quand on lui demande son film préféré, Damir Doma répond du tac au tac : “ Dune de David Lynch. Je l’ai regardé des dizaines […]
Avec ses femmes puissantes, ses hommes délicats et ses lignes amples, Damir Doma compte parmi les créateurs les plus prometteurs du moment. Il défile ce week-end lors de la fashion week homme parisienne.
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Quand on lui demande son film préféré, Damir Doma répond du tac au tac : « Dune de David Lynch. Je l’ai regardé des dizaines de fois. J’aime tout dans ce film. L’histoire, les costumes, la musique. Je suis un gros fan de science-fiction. » Et, à la réflexion, on se dit que le genre, avec son côté résolument tourné vers le futur et ses personnages de femmes fortes souvent à rebours des représentations du cinéma traditionnel, offre une bonne porte d’entrée pour comprendre les créations radicales et infiniment poétiques de ce Croate installé depuis plusieurs années à Paris.
Il n’existe en effet aucune tentation nostalgique dans la mode de Damir Doma. A l’heure où de nombreuses maisons ont la tête plongée dans leur passé, revisitant jusqu’à plus soif leurs archives et la notion d’héritage, le créateur semble occupé à habiter le présent d’hypothèses futuristes, à tenter d’échafauder ce à quoi pourraient ressembler l’homme et la femme du futur. On se souvient encore du frisson ressenti lors de son dernier défilé femme prêt-à-porter (un des plus beaux de la dernière fashion week avec Hermès, Céline et Dries Van Noten), en voyant ses longues amazones aux teintes taupe et à l’allure post-Gattaca fouler le catwalk de leurs creepers or ultracompensées.
« Ma femme imaginaire n’est contrôlée par personne »
Ces descendantes directes du lieutenant Ripley (le personnage de Sigourney Weaver dans Alien) portent avec superbe des tuniques aux manches aux ourlets froncés et élastiques façon jogging Lacoste et des pantalons androgynes aux plis décentrés. Des femmes puissantes, limite austères (le cheveu se porte en chignon, minimal et gominé) mais pas coincées, suffisamment confiantes en leur pouvoir de séduction pour ne pas avoir besoin de trop en montrer : la peau reste la plupart du temps invisible, à deviner sous les jeux subtils de doubles volumes. « Ma femme imaginaire est très indépendante, elle n’est contrôlée par personne, explique Doma de sa voix légèrement atonale, que l’on pourrait prendre pour fluette au premier abord. C’est quelqu’un de très fort, qui voyage et a besoin de confort. C’est une idée fondamentale pour moi. » Chez lui, les mouvements ne sont jamais contraints, et les lignes, amples et épurées, sont le résultat d’un mix subtil d’influences traditionnelles (japonisantes pour l’essentiel) et de sous-cultures plus contemporaines.
Doma défile pour la première fois avec une ligne femme pour l’automne/hiver 2010, deux ans après ses débuts chez l’homme. « Ce sont deux processus de réflexion liés mais très différents. L’homme est plus intuitif pour moi, il suffit que je me demande ce que j’ai envie de porter. La femme m’a totalement obligé à repenser l’homme. Il a fallu le restructurer pour lui donner de l’espace à elle. » Tous deux émergent chaque saison d’un gros cahier dans lequel Doma colle ses inspirations, dessins, silhouettes. « Il existe une correspondance entre eux deux, un équilibre à retrouver chaque saison. C’est une relation. »
« J’ai compris que la clé en tant que créateur était de se trouver soi-même »
Quand il défile pour la première fois à Paris avec sa ligne homme pour le printemps-été 2008, Doma détonne avec ses silhouettes amples et cérébrales, dans une époque encore façonnée par le slim et les années Dior Homme. Doma, qui refuse de passer par les figures imposées (pas ou peu chez lui de vestes à trois boutons ou de classiques masculins), joue au contraire ostensiblement avec des éléments féminins et compose un vestiaire radical, qui se décline dans des teintes sombres.
A cette époque, le jeune homme est basé à Anvers, qu’il a rejoint sitôt ses études de mode achevées à Berlin. « Anvers me semblait alors la seule ville capable de comprendre ce que j’avais envie de faire. La scène mode à Paris était beaucoup moins excitante qu’aujourd’hui. Je voulais également voir comment les gens travaillaient. On ne t’apprend pas ça à l’école. » Il devient l’assistant de créateurs confirmés tels que Dirk Bikkembergs, Ann Demeulemeester ou encore Raf Simons, l’actuel directeur artistique de Dior, dont il dit avoir appris l’ambition et observé l’immense créativité. Il y apprend aussi l’importance de l’image, de la communication, et de l’extrême fragilité d’une marque : un développement trop rapide peut s’avérer fatal. « Mais plus important, poursuit-il, à Anvers j’ai compris que la clé en tant que créateur était de se trouver soi-même. Il faut être capable de répondre à quelques questions basiques : qui tu es, d’où tu viens et qu’est-ce que tu aimes profondément ? » Ces réponses, Doma les a formulées très tôt.
Beaucoup se seraient embourbés dans des troubles identitaires, des questions de légitimité. Pas lui. On le sent habité d’une grande force tirée en partie d’une juste distance aux choses, et de la certitude, tout en connaissant ses racines, de n’appartenir à aucun pays en particulier. Cette certitude l’autorise à multiplier les emprunts sans pour autant perdre une identité, forcément mouvante. « Je n’ai pas peur d’emprunter, confirme-t-il. Je prends ce qui m’intéresse. »
Cosmopolite
Damir Doma est né en Croatie il y a trente-deux ans. Alors qu’il est encore tout gamin, ses parents quittent leur pays pour s’installer dans le sud de l’Allemagne. « Mon père est venu pour le boulot, ma mère par amour, plaisante-t-il. Je pense que c’est une époque finalement assez proche de l’actuelle, où l’on voit tous ces jeunes Grecs ou Espagnols migrer. » L’enfance, dans une petite ville de Bavière, se passe sans accroc. « Mon nom sonnait étranger bien sûr, mais ma tête aurait pu être de n’importe où. Je ne me suis pas senti rejeté. Les gens du sud de l’Allemagne sont très cool. Ils me font penser aux Basques : parfois durs à approcher mais authentiques et vrais une fois qu’on y parvient. »
Le père est dans les affaires, la mère designer de vêtements. Le jeune garçon apprend énormément en regardant travailler celle qui oeuvre toujours à ses côtés.
« J’étais fasciné par les machines, la confection, l’architecture d’un vêtement. C’est d’ailleurs ce qui continue de me passionner le plus dans mon travail : la matière. Je me sens un peu comme un sculpteur. Mais, à l’époque, je ne faisais pas le lien avec la mode. J’ai développé ma sensibilité au style plus tard, principalement avec la rue. »
« Je ne sais même plus ce qu’est le sportswear aujourd’hui »
On est dans les années 90. Damir écoute du hip-hop de la Côte Est des Etats-Unis et porte des baggies. « Les vêtements étaient très codifiés : on savait précisément ce qu’on pouvait porter et comment. Je pense que c’est la dernière fois qu’une culture musicale a énoncé les choses si clairement. Aujourd’hui, que ce soit dans la mode ou dans la musique, les choses sont plus mêlées. Je ne sais même plus ce qu’est le sportswear aujourd’hui, les frontières s’abolissent. Je crois que du coup, il devient encore plus fondamental d’être capable d’exprimer sa vision et son identité très clairement. Je crois que c’est la même chose pour la presse, non ? »
Six ans après ses débuts, son parcours impressionne. Car en dépit de son jeune âge, Damir Doma est bien plus qu’un talent émergent. Il rivalise avec les meilleurs et a su creuser un sillon extrêmement singulier, à la manière d’un Rick Owens. Pour preuve, il est cette semaine l’invité du Pitti Uomo, le plus influent et pointu salon de la mode masculine, qui se tient deux fois par an à Florence. Doma y présentera une sélection des pièces les plus emblématiques de sa marque. Chaque année, ses lignes homme et femme, et Silent, sa ligne plus jeune, sportswear et accessible, gagnent en densité, en reconnaissance. Il a ouvert l’an passé une boutique rue Saint-Honoré à Paris et habillé Rihanna, Kirsten Dunst ou encore Asap Rocky, qui le tient pour l’un de ses créateurs préférés. Reste à savoir combien de temps il pourra rester indépendant.
« Les risques deviennent économiquement de plus en plus grands. Je me pose vraiment la question de savoir jusqu’où tu peux aller seul, sans t’appuyer sur un groupe. »
On ne serait pas étonné que son nom circule pour reprendre une grosse maison. Avant-gardiste et peu compréhensible du grand public à ses débuts, sa silhouette est aujourd’hui devenue totalement acceptée, presque normale. « C’est vrai, reconnaît-il. Cette idée de volume, que j’ai peut-être un peu exagérée à un moment, a été totalement reprise. Toutes les grandes marques jouent à présent avec l’ampleur. C’est le cycle de la mode. Ça me fait immédiatement me demander ce que je vais faire après. Peut-être chercher de nouvelles combinaisons. » Il ira les découvrir, à son habitude, en scrutant ses besoins personnels. « Je pense que c’est la base d’un bon design, explique-t-il. Un vêtement juste est celui qui montre la personnalité de celui qui le porte. C’est l’opposé du déguisement, du vêtement qui tente de projeter quelque chose qu’on n’est pas. »
Géraldine Sarratia
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