Fraîchement paru après des années d’attente, le nouveau jeu des auteurs de The Witcher déchaîne les passions. Malgré de réelles insuffisances techniques (surtout sur PS4 et Xbox One) et certains éléments problématiques, l’expérience Cyberpunk 2077 mérite pourtant d’être tentée.
C’est un monstre. Un jeu au budget (plus de 300 millions de dollars) et aux ambitions démesurés, dont le développement, officiellement lancé en 2012, semblait, au fil des reports successifs de sa sortie, ne jamais devoir s’achever. En particulier, sans doute, pour les salarié·es de CD Projekt Red, habitué·es depuis de longs mois aux très (très) longues semaines de travail dans la grande et néanmoins déplorable tradition du crunch en milieu vidéoludique.
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Et ce n’est pas fini car, au-delà même de l’optimisation en cours du jeu pour les nouvelles consoles, PlayStation 5 et Xbox Series, qui devraient recevoir leur Cyberpunk 2077 bien à elles dans les prochains mois (mais peuvent déjà faire tourner la version actuelle), c’est à simplement le rendre présentable sur les machines de la génération précédente que les employés du studio polonais s’échinent désormais. Car sur la PS4 et la Xbox One de base, le résultat frôle pour le moment la catastrophe industrielle avec des bugs partout, des problèmes d’affichage, une animation souffreteuse… Au point que quelques jours à peine après la sortie de Cyberpunk 2077, son éditeur présentait ses excuses aux acheteur·ses en leur promettant de rapides mises à jour du jeu et en invitant ceux qui le souhaiteraient à demander un remboursement (ce qui n’est cependant envisageable que selon certaines conditions).
Une profusion de godemichés
Même sur les plateformes qui parviennent à le faire tourner à peu près correctement, PC, Xbox Series ou PS5, en dépit des bugs parfois très pittoresques, le jeu supposé le plus attendu de ces dernières années (et rentabilisé avec ses seules pré-ventes de plus de 8 millions d’exemplaires), n’est pas vraiment celui que l’on pensait. Pas une plongée sidérante et vertigineuse dans le futur du jeu vidéo mais, plutôt, une œuvre assez datée, voire presque ringarde, et finalement moins sur le plan technique que par certains choix de game design ou par son écriture spectaculairement inégale. S’il se révèle inabouti, Cyberpunk 2077 est aussi un jeu mal dégrossi et qui semble se débattre dans des vêtements pas à sa taille, même si l’on ne saurait dire avec certitude s’ils sont trop grands ou trop petits pour lui. Mais une chose est sûre : au cœur de toutes ces maladresses, de cette vulgarité et de cette crétinerie s’agite quelque chose de très joli.
L’erreur des développeurs de CD Projekt auréolés du succès hors-normes de The Witcher 3, c’est sans doute d’avoir cédé au mirage du jeu total. Cyberpunk 2077 entend ainsi être à la fois un jeu de rôle dans la lignée des précédentes productions (ce qu’il n’est qu’à la marge), un blockbuster de tir et d’action à grand spectacle (ce qu’il réussit dans l’ensemble plutôt très bien), un monde ouvert dans lequel se balader des heures durant en collectionnant les activités et les distractions à pied ou en voiture (et un jeu de conduite, aussi, donc). Cyberpunk 2077 se veut aussi un jeu « mature » en matière de sexe et de mœurs en général (ce qui, au-delà de la profusion de godemichés dans son univers, donne lieu à quelques bons moments mais aussi à pas mal de scènes et dialogues embarrassants).
Un Disneyland du cyberpunk
Et sur le plan de la culture cyberpunk, qui est sa principale source d’inspiration à travers le jeu de rôle sur table Cyberpunk 2020 ? Là, le jeu de CD Projekt apparaît comme une somme presque scolaire d’éléments narratifs et visuels, jusqu’à donner par moments l’impression de naviguer dans un parc à thèmes, un Disneyland du cyberpunk. Alors on scrute le plan en quête de l’attraction la plus proche, du prochain manège à essayer, avec les viles corporations à la place du Prince Jean ou du capitaine Crochet. Où est la porte d’entrée la plus proche vers le cyberespace ? Est-ce qu’il y a un endroit où on peut essayer une voiture volante ? Et, en guise de souvenir, il n’y aurait pas moyen de s’acheter une peluche de Keanu Reeves, citation vivante de Johnny Mnemonic et The Matrix qui jour ici un rocker-terroriste mort cinquante ans plus tôt et néanmoins bien présent dans la tête de notre personnage via la puce informatique qui y a été insérée ?
C’est un cirque, un bal costumé avec des vrais-faux passant·es déglingué·es, des néons et des signes extérieurs de modernité techno asiatique partout et la portée politique du cyberpunk en ressort largement neutralisée. Pour tout dire : plutôt que dans l’anticipation éventuellement critique et/ou angoissée, on s’offre ici un trip presque nostalgique. On joue à être dans Blade Runner, Deus Ex, Le Neuromancien… 2077 ? Vous voulez rire : ce sont nos années 1990 de lecteur·rices / spectateur·rices / joueur·ses que l’on (re)vit ici. Avec des bugs qui, quand ils ne « cassent » pas le jeu, ajoutent même du piquant à l’expérience. Vous avez vu ? Ce type entre dans l’ascenseur avant que la porte s’ouvre, la cigarette de cette femme flotte à 50 centimètres de sa main et quand on essaie d’entrer par cette fenêtre après l’avoir brisée, on se retrouve téléporté·e 30 mètres en arrière.
C’est cool : niveau cyberpunk, ils nous ont mis le bêtisier en plus du best-of.
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Un miroir tendu
En revanche, ce qui, dans Cyberpunk 2077 reste bien saillant et poignant, c’est la quête de ses (anti-)héros plutôt paumés et esseulés. Notre alter ego (que l’on crée à son goût au début de l’aventure), mais aussi ceux et surtout celles qu’il ou elle rencontre. Evelyn, Judy, Panam… Cyberpunk 2077 se révèle en particulier (et entre deux lourdeurs d’écriture quasi-éliminatoires) une étonnante galerie de personnages féminins forts et marquants qui, entre autres choses, ne s’en laissent pas compter par les mâles souvent veules et assez minables. Alors, Cyberpunk 2077, jeu féministe ? Oui, mais son contraire aussi, affreusement misogyne, selon le moment ou le sens du vent car le jeu n’est pas un mais multiple et éminemment contradictoire.
Il n’empêche : ce sont ces personnages qui sauvent le jeu. Ces personnages et les relations que l’on noue peu à peu avec eux au fil de nos conversations et de nos activités partagées (notamment : aller dézinguer les méchants). C’est en cela qu’il retrouve in fine le jeu de rôle, par cette manière de (se) raconter des histoires. D’ailleurs, habitée par le « fantôme » – no shell, just a ghost, disons – de Johnny Silverhand / Keanu Reeves, V, que l’on incarne, n’est-elle pas en plein « role play », comme un miroir tendu au joueur ou à la joueuse tenté(e) de devenir un(e) autre ?
Cyberpunk 2077 se voudrait luxueux et visionnaire, jeu qui avalerait tous les autres et nous propulserait dans une ère ludique nouvelle mais, finalement, entre deux gags visuels involontaires et une ou deux fulgurances visuelles et d’ambiance, nous ramène à nous. C’est un jeu malade, inachevé, bancal. Et glorieusement sentimental.
Cyberpunk 2077 (CD Projekt), sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series S/X, Windows et Stadia, environ 70 €
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