Voilà plus de vingt ans que la misère campe dans la Perle des Caraïbes. Les opposants continuent d’y être pourchassés ou contraints au départ. Pourtant, petit à petit, les artistes exilés reviennent sur l’île.
Dans la déconfiture, les Cubains font preuve d’une capacité rare à survivre au quotidien. Inventar ou resolver, comme ils disent, c’est-à-dire traficoter d’une manière ou d’une autre, de préférence en grugeant l’Etat, est une obligation. La plupart d’entre eux se lèvent le matin sans savoir comment ils vont trouver leur pitance du jour. D’autres, de guerre lasse, ont laissé tomber et glandent. Le salaire moyen plafonne à 17 dollars, quand il en faudrait le triple pour vivre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et voilà aussi des années que Cuba a cessé d’être un des grands centres de création musicale mondiale. « L’île a simplement perdu sa voix », constate le Cubain Fabien Pisani, 40 ans, qui a entrepris de réaliser En la caliente, long métrage consacré au reggaeton local, avec des chanteurs comme El Micha ou El Insurrecto, bannis jusqu’à une époque récente des médias cubains.
« La culture officielle, très puritaine, tolère mal les artistes qui ne dialoguent pas avec elle. »
Le même Pisani est par ailleurs coproducteur et l’un des initiateurs du projet Sept jours à La Havane, film réalisé à sept mains (Laurent Cantet, Elia Suleiman, Benicio Del Toro, Julio Medem, Gaspar Noé, Pablo Trapero, Juan Carlos Tabio). Tourné au printemps dans une relative liberté, le film devrait sortir cet hiver.
Pour le moment du moins, le pouvoir laisse entrer cette bouffée d’oxygène. Et, timidement, les artistes exilés reviennent. Ça a été le cas de Raúl Paz, David Torrens, le Bob Marley cubain, Descemer Bueno, ou du crooner Kelvis Ochoa, sosie de Balzac et star incontestée dans l’île, qui, après quelques durs moments vécus durant son service militaire, avait fait le choix de l’exil en Espagne. Il s’est réinstallé à Cuba depuis quelques années.
Ou encore le peintre Carlos Quintana, à la silhouette de gitan, parti à Madrid puis à Miami, et revenu à La Havane où il vit entre sa mère et ses deux chiens. Dans son atelier situé à deux pas de l’hôtel Melia Cohiba, ce Picasso caraïbe expose de gigantesques toiles représentant des corps et des animaux aux couleurs vives qui s’entrelacent pour donner forme à des centaures.
» Nous sommes des enfants de la Révolution, note Fabien Pisani, nous avons été formés par le système, nous y avons cru. Mais quand notre tour est arrivé de nous exprimer, nous nous sommes heurtés à un très haut mur. A défaut, ils nous ont laissés partir. Ça a été la débandade. Après toutes ces années, si l’on revient, c’est pour retrouver notre voix. Et raconter notre histoire, celle, extraordinaire, d’un peuple que l’on ne lit pas sur les murs de la ville où brillent les slogans de la propagande. »
Cuba regorge de paradoxes, dont celui-ci : ses habitants souffrent un martyre collectif mais restent fiers de deux richesses inestimables : leur île, si convoitée, et leur culture, ce supplément d’âme hérité d’une histoire unique.
Pascal Dupont
{"type":"Banniere-Basse"}