Présenté à la Biennale d’Architecture de Venise, le Cruising PavilIon revisite la backroom et la place du cruising dans l’espace public.
Oui, ce parfum est bien celui du poppers. Chez les uns, il réveillera le vertige de nuits interlopes, chez les autres il laissera poindre le désir de l’inconnu. Quoi qu’il en soit, la surprise reste entière : avec du champagne le poppers, vraiment ?
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Nous sommes à Venise fin mai, à l’inauguration de la seizième Biennale d’architecture. Alors que chaque pays se félicitait de son pavillon national, le Cruising Pavilion, lui, rassemblait les apatrides pour qui le monde entier est un terrain de jeu.
Un terrain de jeu ou un labyrinthe, comme celui dans lequel on pénétrait à tâtons une fois franchi le seuil de cet anti-pavillon. A l’intérieur, tout était fait pour substituer aux plans de l’architecte le poisseux de la vie : éclairage clubbesque en néons rouges, glory holes percés dans le contreplaqué et feulements s’échappant d’un porno en boucle.
≥≥ Cruising Pavilion, la BO à écouter ici
Derrière le Cruising Pavilion, un collectif de quatre amis : un duo de curateurs, Pierre-Alexandre Mateos et Charles Teyssou, un artiste, Rasmus Myrup, et un architecte, Octave Perrault.
Un romantisme noir assumé
Ensemble, ils ont imaginé un contrepoint aux pratiques architecturales dominantes, celles qui ne jettent pas d’ombres et gomment les corps qui les habitent. “Le cruising, on en parlait entre nous comme d’un hobby et d’une contre-culture, mais il n’y avait pas vraiment d’expos sur le sujet”, raconte Pierre-Alexandre Mateos.
Dérive urbaine à la recherche de partenaires sexuels, le cruising est une pratique séculaire de la culture gay qui pose aussi la question des usages de l’espace public. Pour les quatre larrons, il s’agissait de mettre en évidence la production hétéronormée de l’architecture tout en célébrant les poches de liberté que sont les clubs, les parcs, les toilettes publiques ou les saunas.
Comme les visages aguicheurs croisés nuitamment, la vingtaine d’œuvres d’artistes (Lili Reynaud Dewar, Carlos Reyes, Henrik Olesen, Trevor Yeung) ou d’architectes (Andrés Jaque/Office for Political Innovation, Diller Scofidio + Renfro, Studio Karhard) se voilent de secret. On plisse les yeux, on se frotte sans jamais y voir tout à fait clair.
Mais si Grindr enregistre des connections en n’importe quel point de la planète, qui rôde encore dehors la nuit ? Pour Pierre-Alexandre Mateos, l’architecture cybernétique transpose à sa manière celle de villes crades, dangereuses et donc terriblement excitantes comme le New York seventies.
“C’est une idée que développe Bruce Benderson dans son très beau livre Sexe et solitude. Il avance que l’on retrouve la figure du type malsain ou du petit criminel sur les sites de tchat, infestés de virus et cibles préférées des piratages. Aujourd’hui, les applications créent des chaînes de solidarité à travers le monde mais il ne faut pas oublier qu’elles sont aussi utilisées dans les pays répressifs pour traquer les homosexuels.”
Un romantisme noir assumé de la part du collectif (qui travaille déjà aux prochaines itérations du projet) et une ode au vertige de l’inconnu, de l’aléatoire et du risque. Loin, très loin de la récupération du versant célébratoire de la culture queer, alors qu’il y a quelques semaines Mastercard s’affichait en sponsor de la Gay Pride parisienne…
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