Alors qu’un nouveau grand rassemblement pro-européen doit se tenir à Kiev ce dimanche, le cœur de la capitale ukrainienne est méconnaissable. Depuis bientôt une semaine, une centaine d’opposants au régime de Ianoukovitch, resté sourd au désir d’Europe de son peuple, ont décidé de s’établir sur la place de l’Indépendance, épicentre des rassemblements qui comptabilisent en semaine plusieurs milliers de personnes, le week-end, plusieurs centaines de milliers. Un campement qu’il semble dorénavant difficile de déloger par la force.
300 grivnas par jour (soit environ 26 euros). C’est ce que reçoivent les manifestants de la part de l’opposition pour camper sur la place de l’Indépendance, raconte Igor. « C’est énorme ! » Igor est bien placé pour le savoir, cela fait trois jours et trois nuits qu’il brave le froid presque sans dormir en échange de ce qui semble peu mais est en réalité une somme considérable pour l’Ukrainien moyen. À ceci près que ce jeune homme de 22 ans aux yeux injectés de sang du à la fatigue et au froid manifeste dans le camp adverse : les pro-Ianoukovitch. Igor le reconnaît :
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« Oui le parti des Régions (la formation du président ukrainien) nous paie tous pour rester là. Les pro-Européens campent sur la place de l’Indépendance, nous dans le parc Mariinski à deux pas de là. Si ce n’était pas payé, je ne viendrais pas. Je pense que l’intégration à l’Europe est une mauvaise chose pour notre pays, mais je ne peux pas me permettre de manquer le travail sans être rémunéré. »
Barricades de fortune
Payés par l’opposition ou pas, une centaine d’irréductibles sont là, jour et nuit. Sur le Maïdan (autre nom de la place principale de Kiev), des tentes ont été installées pour ne pas avoir à rentrer dormir chez soi. De loin, on dirait un marché de Noël. Ce n’est qu’en s’approchant au plus près qu’on les remarque, ces larges barricades. Palettes de bois, morceaux de ferraille, décorations de fin d’année usurpées à la rue : une muraille de fortune encercle maintenant toute la place. On peut toujours s’y engouffrer à pied, par de petites ouvertures, sous les yeux de militants qui surveillent les allées et venues. Dès lors, la fumée des feux crée une atmosphère aussi irréelle qu’irrespirable. Des jeunes, des vieux, des femmes enrubannés dans de grandes couvertures se réchauffent au foyer des braseros et attendent le passage régulier d’un jeune homme chargé de distribuer des boissons chaudes et un peu de nourriture. « Nous ne donnerons pas notre vie, nous ne rentrerons pas chez nous », indique une large pancarte devant laquelle deux hommes discutent, assis autour du feu, sur un banc circulaire fait de rondins de bois.
Presque comme à la maison
C’est le petit matin. Un chant retentit tout à coup, qui provient de l’estrade installée aux abords du campement. Habituellement, les leaders d’opposition y déclament leurs discours quand des musiciens n’essaient pas de réchauffer la foule. Cette fois-là, le chant est le fait d’un petit groupe de religieux en habits de messe. Une heure durant, ils vont faire le service pour ceux qui restent. Cinquante signes de croix, quinze « Slava Ukraïnia ! » (vivre l’Ukraine) et un café plus tard, les manifestants peuvent reprendre ce qui est en passe de devenir leur train-train habituel.
Eldar n’a pas bougé d’ici depuis sept jours et sept nuits. Et comment ça se passe ? « C’est magnifique. C’est parfait… » sourit ce quinquagénaire originaire de l’Azerbaïdjan. « J’aime cette nation ukrainienne, c’est une grande nation. J’habite ici depuis trente ans. » Pour ce qui est de ses velléités d’Europe et de son refus de rester dans le giron russe, Eldar explique simplement que « pendant une période, l’Ukraine a été sous le joug de l’URSS. Mais ce n’était que momentané. » En tout cas, l’homme reste optimiste et « tout ira bien« .
Demain, lui et les autres seront fidèles au rendez-vous pour tenter de réitérer l’exploit de dimanche dernier, quand, sur la place de l’Indépendance devenue leur fief, des centaines de milliers de personnes criaient leur mécontentement. Entre temps, il y a bien eu le vote relatif à une motion de défiance du gouvernement ukrainien, vote qui a finalement donné raison au Premier ministre Mikola Azarov. Mais a aussi eu pour effet de renforcer la détermination des manifestants. Tout comme risque de le faire cette traque gouvernementale des étudiants contestataires. Pour punir les jeunes manifestants, l’Etat a annoncé cette semaine que l’absentéisme conduirait au renvoi.
Crédit photos: Arnaud Finistre
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