Alors que Bernard Tapie est de nouveau dans le collimateur de la justice, son journal Corse-Matin connaît une crise interne sans précédent.
Alors que les employés contestent l’équipe installée à la tête du quotidien insulaire, la rumeur d’une vente se fait de plus en plus insistante.
Bernard Tapie patron de presse : l’idée a de quoi faire sourire au départ. Et pourtant, en 2013, l’homme d’affaires est bien devenu actionnaire majoritaire de La Provence, avant d’acquérir, en novembre dernier, le groupe Corse Presse. Quelques mois plus tard, ça ne rigole plus du tout sur l’Ile de Beauté. Clause de cession non ouverte, climat délétère au sein de la rédaction de Corse-Matin, de nombreux salariés sont à bout et payent au prix fort les changements à la tête du quotidien.
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Petit rappel : La Provence et Nice-Matin détenaient chacun 50 % de Corse Presse, société éditrice de Corse-Matin et La Corse Votre Hebdo. En soutenant les salariés de Nice-Matin dans le projet de reprise en main de leur journal l’année dernière, Bernard Tapie s’est assuré d’une chose : récupérer, moyennant 4 millions d’euros, les parts du quotidien corse appartenant au journal niçois. Et faire au passage une bonne affaire, Corse-Matin étant bénéficiaire. Mais voilà Tapie rattrapé par la justice et empêtré dans l’affaire de l’arbitrage. Déjà mis en examen en 2013 pour « escroquerie en bande organisée », il l’est également depuis le 6 mai pour « détournement de fonds publics ». La justice rendra son verdict en septembre prochain et décidera si Tapie doit rembourser les 405 millions d’euros touchés en 2008 au titre de préjudice dans l’affaire de la vente d’Adidas au Crédit Lyonnais en 1993.
En attendant, Corse-Matin semble être le cadet de ses soucis. Les salariés n’ont en effet reçu aucun courrier, aucune visite de leur nouveau propriétaire depuis novembre. Ils sont d’ailleurs plusieurs à vouloir bénéficier de la clause de cession, ouverte lors d’un changement d’actionnaire majoritaire ou de l’équipe de contrôle, et qui permet de partir avec les indemnités applicables en cas de licenciement. Bernard Tapie n’ayant pas souhaité nous répondre à ce sujet, nous nous sommes donc tourné vers Roger Antech, PDG de Corse Presse et directeur de la rédaction de Corse-Matin :
« La clause n’est pas ouverte puisque Bernard Tapie possédait déjà 50 % du titre et qu’il m’a en plus renforcé dans mes pouvoirs », argumente le nouvel homme fort de Corse Presse.
Directeur délégué de Corse Presse et rédacteur en chef de Corse-Matin depuis 2009, Antech est désormais PDG. Mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit pourtant que les choses ont changé au Conseil d’administration qui a été renouvelé de moitié. Stéphane Tapie, fils de Bernard et directeur des activités numériques de La Provence, y a notamment fait son apparition. Suffisant, normalement, pour solliciter l’ouverture de la clause de cession.
Face au refus de la direction, la grogne s’intensifie. D’autant que cette affaire n’est pas la seule à agiter la rédaction corse. En plus de ses autres postes, Antech a également pris en charge la direction de La Corse Votre Hebdo après avoir démis de ses fonctions Jacques Renucci, figure historique du journal. En ligne, une pétition de soutien au journaliste a été lancée, et sur le site internet les langues se délient. Sous couvert d’anonymat, de nombreux salariés accusent Antech de « népotisme », « favoritisme », « autoritarisme » ou encore d’être un « monarque » plaçant ses « courtisants » à des postes-clés.
« Ca fait trente ans que je suis dans la presse, j’ai fait tous les journaux du sud de la France et je ne pense pas avoir cette réputation-là », s’indigne Roger Antech qui annonce qu’une « plainte contre X a été déposée par Corse Presse pour injures publiques et diffamation ».
Joints par téléphone, des salariés parlent pourtant « de nombreux arrêts maladie » et d' »un désinvestissement total, révélateur d’une ambiance pesante ». « On va droit dans le mur », assène l’un d’eux en pointant du doigt la direction et la chute des ventes*. « Le STC (Syndicat des travailleurs corses, ndr) a monnayé les places », critique un autre en évoquant le revirement soudain du syndicat, d’abord opposé à l’arrivée de Tapie avant de faire volte-face et de se rallier à Antech. Dans la foulée, un délégué syndical STC devenait DRH. « Il faut arrêter avec ce sujet-là, les places n’ont pas été monnayées », réplique le PDG. « Je suis animé uniquement par un projet. La maison s’est remise en ordre de marche et on peut maintenant aller de l’avant ».
Pas sûr toutefois que tous les salariés soient prêts à suivre. Beaucoup aimeraient en revanche que Bernard Tapie s’intéresse un peu plus au journal pour y remettre de l’ordre. Mais les soucis actuels de l’homme d’affaires pourraient bien avoir raison de son investissement. Il se murmure déjà sur l’île que l’actionnaire majoritaire de Corse-Matin pourrait revendre le journal prochainement.
* La diffusion payée a baissé de 3,06 % entre 2013 et 2014, sources OJD.
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