La loi Hadopi veut punir le téléchargement illégal. Mais c’est vers le streaming, écoute et visionnage de fichiers en ligne, que se tournent déjà les internautes. Une solution souvent légale et facile d’usage.
(Illustration : Blexbolex)
A l’occasion du débat sur la loi Création et Internet (dite Hadopi), il aura presque exclusivement été question de téléchargement (légal un peu, illégal beaucoup) et de peer to peer (P2P). Pourtant, comme le soulignait déjà le rapport du député UMP Franck Riester sur le projet de loi, s’appuyant sur une étude de 2007 réalisée pour le Centre national de la cinématographie (CNC) sur les nouvelles formes de consommation des images, il existe d’autres usages. Les groupes de discussion (“pour les initiés” d’après le rapport), la copie via les serveurs FTP, les sites de stockage (file hosting) auxquels on accède via blogs et forums, les échanges de disques durs (“en hausse”), le streaming (“en forte augmentation”) sont autant de possibilités de se procurer des fichiers. Sur son blog, Attali s’emportait d’ailleurs contre ce projet de loi “absurde”, “parce que plus personne ne télécharge : on regarde ou écoute en streaming”.
D’après une récente étude menée en Europe, Afrique, Moyen- Orient et Amérique du Sud par le cabinet d’analyse de trafic internet Ipoque, le P2P est ce qui génère le plus de trafic. Mais il perdrait des internautes au profit notamment du file hosting et du streaming. Les chiffres de fréquentation le confirment. You- Tube a vu son audience croître de 9 % en décembre (68,6 millions de visiteurs uniques). Deezer compte quatre millions de membres. Le petit nouveau, Spotify, lancé en octobre, en recensait déjà un million le 2 mars, alors que dans certains pays, dont la France, le site fonctionne encore sur invitation.
Pour la musique, même si les modèles économiques sont balbutiants, les offres légales commencent à être bien développées, avec des formules gratuites et/ou payantes. Deezer et Spotify sont adoubés par les maisons de disques avec qui ils ont passé des accords, et on y trouve déjà des millions de titres. Fier de sa légalité, Deezer ne manque pas de communiquer sur le sujet puisqu’à la veille de l’examen de la loi son service de presse annonçait qu’“à travers un sondage effectué sur notre site plus de 65 % des utilisateurs déclarent ne plus télécharger illégalement”. Nouveau venu dans le streaming, Orange lance Wormee, en version test dès le 18 mars.
On peut imaginer que le glissement du téléchargement illégal vers l’écoute en ligne légale va croître, surtout si les catalogues se développent. En donnant accès à tout instant à n’importe quel morceau, les sites légaux de streaming rendent caduque la nécessité de “posséder” les titres. Et sans craindre les foudres de la loi. En permettant d’écouter “pour voir”, le streaming constitue aussi une alternative au téléchargement de découverte. Toujours selon Ipoque, “la croissance du trafic sur les sites de streaming va probablement continuer dans un futur proche. Ils constituent une alternative facile d’usage pour avoir accès à du contenu audio et vidéo tout en évitant l’embarras d’avoir à le télécharger avant. Le streaming est tout simplement plus facile d’usage pour l’utilisateur moyen d’internet”.
Reste que pour l’instant l’offre légale de streaming concerne surtout la musique et peu le cinéma ou les séries. Mais des accords entre ayants droit et sites ne sont pas inenvisageables. Autre limite actuelle du streaming : il est peu ou pas développé sur les baladeurs ou les mobiles, qu’il faut encore alimenter de MP3 téléchargés.
S’attaquer au téléchargement illégal alors que l’enjeu est en train de se déplacer vers l’écoute et le visionnage en ligne laisse donc penser que la loi est en retard d’un clic. Peut-être est-il nécessaire d’envisager enfin de façon globale et concertée le devenir de la création à l’heure du numérique pour ne pas reprendre tous les deux ans les mêmes débats stériles et les réformes coûteuses, et obsolètes avant même d’entrer en vigueur.