Plusieurs mois après avoir été infectées par la Covid, de nombreuses personnes font état de syndromes persistants – biologiques et psychologiques -, dont ils témoignent sous les hashtags #LongTermCovid et #ApresJ20. Pour Les Inrockuptibles, ils et elles racontent la difficile reconnaissance de leur situation, et la galère des parcours de soins.
Brouillard cérébral, souffle court, tachycardie, hypertension, stress post-traumatique ou encore trouble de l’odorat et du goût… Cinq mois après le confinement, et alors que la France met en place de nouvelles règles sanitaires pour tenter d’endiguer une possible deuxième vague de l’épidémie, de nombreuses personnes infectées par la Covid-19 font état de syndromes persistants. Sur Twitter, il suffit de faire défiler les messages publiés sous les hashtags #LongTermCovid et #ApresJ20 pour se rendre compte que cette persistance n’est pas rare. Des médecins ont d’abord mis ces troubles sur le compte de “l’anxiété”, la période de la maladie n’étant pas censée durer au-delà de vingt jours environ. Mais désormais l’évidence n’est plus discutée.
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https://twitter.com/mrkether/status/1294592730610438146
Montagnes russes
Joint par Les Inrockuptibles, Raphaël Demetteo, jeune étudiant en médecine, peut en témoigner. Il raconte avoir eu ses premiers symptômes le 17 mars : “C’était assez banal : de la fièvre, de la fatigue, des maux de tête pendant trois ou quatre jours. Puis plus rien pendant un mois. Mais fin avril, j’ai été atteint par une fatigue assommante alors que je pensais avoir récupéré. J’étais obligé de m’allonger trois ou quatre heures par jour. J’avais des vertiges, des maux de tête, des problèmes intestinaux.” De nombreux·euses malades décrivent un processus cyclique similaire, de l’ordre des montagnes russes. Il toucherait environ 10 à 15 % de patient·es.
Quatre mois plus tard et après plusieurs “rechutes” ou “rebonds”, Raphaël estime aller nettement mieux. Mais jusqu’en juin, il souffrait notamment de “brouillard cérébral”, un symptôme qu’il décrit ainsi : “Des problèmes de concentration, de mémoire, une sensation bizarre, des spasmes et une fasciculation musculaire”. Même s’il a aujourd’hui éliminé ces troubles (en prenant des vitamines B12), il s’étonne d’en avoir autant soupé. Ne présentant aucun facteur à risque, étant jeune et en bonne santé, il ne s’attendait pas à ce que cette maladie que d’aucuns ont jadis considérée comme une “gripette” le mette autant à l’épreuve.
4 mois après avoir contracté le COVID, toujours de mauvaises sensations pulmonaires. Un rhume attrapé fin juillet ? Deux semaines pour le guérir. 25 ans, pas de gros antécédents médicaux. S'il vous plait arrêtez avec les délires conspi sur le port du masque et cette maladie…
— Brice Ivanovic (@BriceIvanovic) August 14, 2020
“Ça ne concerne pas que les patients qui ont été réanimés”
Le chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon à Paris, Gilles Pialoux, auteur de Nous n’étions pas prêts — Carnet de bord par temps de coronavirus (JC Lattès), confirme bien l’existence d’un “cortège de symptômes” qui font de la résistance : “Fatigue, troubles respiratoires, toux, douleurs de poitrine, maux de tête, troubles de l’odorat et du goût persistants”. L’anosmie, au-delà de deux mois, concernerait ainsi environ 20 % des patient·es. Il est cependant trop tôt, selon lui, pour parler de séquelles à “long terme”, même si cela “reste une vraie question”. D’autant plus que la maladie a laissé des stigmates psychologiques chez de nombreuses personnes : “Il apparaît qu’il existe un stress post-traumatique assez important, des insomnies inhabituelles, de l’agoraphobie. Ce sont des signes apparus dans le sillage de l’hospitalisation, et paradoxalement, ils ne concernent pas que les patients qui ont été réanimés”, détaille-t-il, ajoutant que 60 % des patient·es se considèrent désormais guéris, mais estiment que leur qualité de vie a été altérée.
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Stress post-traumatique
Lilas Bass, doctorante en sociologie à l’EHESS et enseignante à Sciences-Po, partage ce sentiment. Tombée malade du coronavirus le 30 mars, elle souffre toujours d’“au moins un symptôme par jour, plus la fatigue”, après avoir traversé quatre rechutes éprouvantes. Mais le stress post-traumatique qu’elle a développé à la suite de son infection est ce qui l’inquiète le plus. Le contraste entre ce qui était dit de la maladie publiquement par les autorités et les médias, et la pneumopathie virale brutale qu’elle a subie dans son corps (“Je ne pouvais plus me lever, parler, manger”, relate-t-elle) l’a bouleversée : “Il est certain que si en mars le sujet du coronavirus avait été dit en d’autres termes que ‘grippe’, ‘grippette, ‘formes graves touchant les personnes âgées ou vulnérables’, je n’aurais pas développé ce stress post-traumatique, explique-t-elle. J’ai été véritablement traumatisée par la communication gouvernementale erronée à l’endroit de la Covid-19, par des relais médiatiques qui ne s’étaient pas avérés fiables (et j’ai pourtant croisé les sources). Tout ce qui a été dit était à côté de ce que j’ai vécu, et de ce que beaucoup de malades ont vécu”.
Voilà pourquoi la question des séquelles dépasse largement le seul niveau biologique à ses yeux, et doit être comprise politiquement : “Le manque de rigueur de notre gouvernement, de sérieux dans la construction des indicateurs, tout ce qu’il s’est passé pendant cette crise alimente aujourd’hui des hiatus et des incompréhensions, et finalement une réelle défiance vis-à-vis des représentants de l’autorité”.
“Il a fallu se faire le médecin de soi-même”
Beaucoup de personnes infectées regrettent en effet de ne pas avoir été entendues, ou sérieusement prises en considération par les médecins quand elles signalaient des troubles persistants. Pour Lilas Bass, faire admettre qu’elle subissait encore les conséquences de la Covid, plusieurs mois après son infection, a été un parcours du combattant : “Mon parcours de soins a été chaotique. Lors de ma première rechute, un médecin m’a dit que c’était impossible, que c’était dans ma tête, car le coronavirus ne durait que trois semaines. C’était très violent, il m’a dit qu’il fallait que j’aille voir un psy, car il n’entendait plus la pneumonie au stéthoscope. Il a donc fallu se faire le médecin de soi-même. J’ai dû en passer par des réseaux de pairs pour avoir accès à des soins que j’ai payés très cher, comme la rééducation respiratoire, pour soigner l’hyperventilation. Les séquelles ne seraient probablement pas si fréquentes et si longues si seulement nous avions accès à des soins, si nous avions été entendus au moment où il le fallait.”
Sur Twitter, @lapsyrevoltee (qui a créé le hashtag #aprèsJ20, pour “fédérer” les malades dans son cas) fait état des mêmes écueils : médecins dubitatifs, désorientation et frais médicaux qui s’envolent. “Ce mois-ci, j’en suis à 1000€ de frais médicaux avancés, j’emprunte de l’argent à ma famille. Ça rajoute à la pression”, témoigne-t-elle.
coudes. Je sais que c’est épuisant de courir partout. Et très cher, ce mois-ci j’en suis à 1000€ de frais médicaux avancés, j’emprunte de l’argent à ma famille. Ça rajoute à la pression. Mais faites vous passer d’abord. Tenez bon. #apresj20
— Lapsyrévoltée (@lapsyrevoltee) August 20, 2020
“Qui est suivi, et selon quels critères ?”
Alors que les complications causées par la maladie ne se limitent pas à quelques jours, et ne concernent pas que des formes respiratoires ou cardiovasculaires, le suivi des patient·es est primordial sur le temps long. Or “comment organiser le parcours de soins si les malades et la maladie ne sont pas désignés en tant que sujets ?”, interroge sur le site AOC l’historienne Caroline Hodak, elle-même infectée mi-mars et ayant vécu un difficile rebond inflammatoire.
Contactée par Les Inrockuptibles, elle déplore la négligence dont les “malades à la maison” font l’objet, même s’ils ont récemment gagné en visibilité : “Depuis juin, la presse a fini par se saisir du sujet, mais sans le problématiser. Combien sommes-nous ? Qui est suivi, et selon quels critères ? On est passés de cinq symptômes identifiés à une dizaine de symptômes, mais quels sont les protocoles communs ? Maintenant qu’on sait qu’il existe des séquelles protéiformes, pourquoi ne pas passer en maladie à déclaration obligatoire [afin de contrôler les risques d’épidémie, les “MDO” bénéficient d’un dispositif de surveillance qui repose sur la transmission de données par les médecins, ndlr] ? Les médecins auraient un questionnaire type, et un même protocole, avec des traitements idoines…”
“Entre la grosse grippe et la mort”
Peu à peu, les témoignages et les études s’empilent (dans The Telegraph, The bmj, Science, Time…), et appellent à mettre en place un véritable suivi des “malades à la maison”. Mais, faute d’une politique sanitaire uniformisée au niveau nationale et d’une mise en commun des données, celui-ci s’avère toujours problématique : “Si nous étions étudiés correctement, nous aurions les moyens d’ajuster les diagnostics en fonction des séquelles, d’alimenter les connaissances sur des maladies complexes, et de faire de la prévention – car si le risque de mourir de la Covid est de 0,4 %, celui de traîner des symptômes persistants pour une durée indéterminée, avec des conséquences délétères sur le plan professionnel et économique, est pour sa part important”, avertit Caroline Hodak.
A l’épreuve des faits, Lilas Bass insiste aussi pour que la conscience du problème des syndromes persistants débouche sur des actes à la hauteur. “Entre la grosse grippe et la mort, entre trois semaines et potentiellement un an ou plus de maladie, il y a toute une palette de nuances, et beaucoup de choses qui peuvent être très difficiles à vivre, avec tout ce que cela implique en termes de vie professionnelle, d’estime de soi, et de conséquences sur l’avenir”, conclut-elle.
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