Quelques jours après le rejet par le Parlement de la proposition de loi sur le mariage gay et alors que l’Etat de New York vient de l’autoriser, analyse d’une discrimination sociale qui était au coeur de la Marche des fiertés du 25 juin à Paris.
Jeanne et Sébastien, Julie et Pascale sont deux couples parisiens. Ils ont le même âge, les mêmes sorties, les mêmes envies. Mais si les deux couples ont commencé à fonder une famille, pour Pascale et Julie, le chemin vers la filiation se révèle bien plus difficile.
Alors qu’il y aurait en France plus de 200 000 enfants élevés par des couples homosexuels (selon l’Association des parents gays et lesbiens), le Parlement a rejeté mardi 14 juin la proposition de loi sur le mariage gay. La Marche des fiertés de samedi prochain, qui revendique l’égalité pour tous, en sera d’autant plus symbolique. Analyse des discriminations dont sont victimes les couples homos, en compagnie de Caroline Mécary, avocate spécialisée dans les droits LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, trans).
Le désir d’enfant
Sébastien et Jeanne ont fait les choses “dans les règles de l’art”. D’abord le mariage, puis les enfants. Dès que Jeanne a eu un poste fixe, Victor est arrivé très rapidement. Pour Julie et Pascale, l’envie d’enfant est aussi venue très vite. Mais la concrétisation s’est révélée plus ardue. “On a mis trois ans entre le désir d’avoir un enfant et l’arrivée de Luna”, racontent les deux jeunes femmes. Elles ont opté pour l’insémination artificielle, en Belgique.
“Un choix par défaut. Si la France nous avait permis d’avoir des droits, on l’aurait fait ici.”
A l’époque, il fallait quinze jours pour obtenir un rendez-vous. Aujourd’hui, six mois. Chaque insémination coûte 300 euros (deux fois moins cher qu’en Espagne ou au Danemark). Ce à quoi il faut ajouter l’hébergement, le transport, les repas, et les deux jours de congés pour le voyage. “On a également dû réfléchir à notre marginalité, à la sienne, aux problèmes qu’on va nous créer, au jugement des autres. Choisir d’être anticonformiste n’est jamais la voie la plus facile”, ajoutent-elles.
L’analyse de Caroline Mécary : Le droit français, par les lois de bioéthique, ne permet pas l’assistance médicale à la procréation (AMP) à un couple de femmes. Elles sont obligées d’aller à l’étranger. De même, l’adoption par un couple de même sexe n’est pas autorisée, alors qu’elle est possible pour une femme se déclarant “célibataire”.
Le statut de parent
“Je n’ai pas à me justifier d’être père. Je peux partir avec mes enfants en voyage, à l’étranger ou aller les chercher à l’école, je n’ai jamais eu aucun problème”, explique Sébastien. Pascale ne peut pas voyager seule avec sa fille. S’il arrive un accident à Julie (la mère biologique), c’est sa famille qui la récupérera. En cas de séparation, la loi ne lui reconnaît aucun droit de visite. A l’école, elle ne pourra pas non plus être parent d’élève ou assister à un conseil de classe. Quant au statut de “beau-parent”, Pascale ne veut pas en entendre parler.
“Je ne suis pas un beau-parent. Je suis un parent tout court.”
L’analyse de Caroline Mécary : Comme Sébastien et Jeanne sont mariés, il y a une “présomption de paternité” pour Sébastien. Il peut transmettre son nom, son patrimoine et partage l’autorité parentale avec sa femme. Dans le cas de Pascale, il n’y a absolument aucun lien reconnu par la loi. Le couple peut néanmoins déposer une requête de “délégation d’autorité parentale”, mais c’est une démarche très coûteuse et qui aboutit rarement. En cas d’accident de Julie, Luna pourrait être placée en famille d’accueil.
Le mariage
Jeanne et Sébastien se sont mariés civilement en 2002. Ils ne voulaient pas d’une cérémonie religieuse. Ce qui comptait, c’était le symbole, qui viendrait renforcer leurs années de vie commune.
“L’idée du mariage était un peu de remettre les compteurs à zéro. On voulait avancer de manière concrète. C’était aussi une manière d’officialiser notre relation”, explique Sébastien.
Pascale et Julie ne voient pas dans le mariage un aboutissement. Ce qui compte avant tout pour elles, c’est la reconnaissance de leur famille. “L’institution reste trop religieuse à nos yeux. Et un mariage à la portugaise ne nous intéresse pas (le Portugal a autorisé le mariage mais pas l’adoption – ndrl). Si demain notre famille est reconnue grâce au mariage, on sera les premières à la mairie du XVIIIe.”
L’analyse de Caroline Mécary : Dix pays dans le monde (et six Etats américains, dont New York depuis ce week-end) ont légalisé le mariage gay, mais seulement cinq d’entre eux autorisent l’adoption par les couples de même sexe. Par ailleurs, la pension de réversion (le fait de faire bénéficier son conjoint de sa retraite après un décès) reste pour le moment réservée aux couples mariés, malgré plusieurs avis contraires de la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité).
Le patrimoine
Jeanne et Sébastien sont en plein déménagement. “Nous avons acheté un appart de 50 m2 il y a cinq ans, que nous venons de revendre pour un 60 m2, puisque deux enfants sont venus partager notre espace vital.”
Pascale et Julie ont elles aussi acheté ensemble, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. “Ça n’a posé aucune difficulté, les banquiers ne s’intéressent pas vraiment au couple, l’important c’est qu’on paie les mensualités”. Elles sont pacsées depuis 2004, ce qui simplifie les démarches d’héritage. Et “c’est notre seule preuve pour montrer qu’on est ensemble”, explique Julie. Mais si Pascale décède, Luna ne pourra pas en hériter.
L’analyse de Caroline Mécary : Entre le mariage et le pacs, il n’y a presque plus de différence en ce qui concerne les avantages fiscaux. La seule différence réside dans le régime légal des biens. Alors que le mariage est par défaut sous le régime de la communauté, le pacs est sous celui de la séparation des biens. Pour l’héritage de Luna, il faut que Julie et Pascale fassent un testament, ce qui nécessite de voir un professionnel du droit. Là encore, la démarche est coûteuse. Et Luna devra payer 60 % de droits de succession de Pascale (contre environ 15 % dans une succession normale).
L’avenir
“Pour le moment, on fait une pause”, sourient Sébastien et Jeanne. L’investissement en temps et en énergie que leur demandent leurs deux enfants est déjà “bien assez prenant. Surtout à Paris”.
Pascale et Julie sourient : “Nous, on veut au moins trois enfants.” Pascale a déjà fait trois tentatives d’insémination, qui ont toutes échoué. Mais elle ne baisse pas les bras, elle devrait retourner en Belgique dans les prochains jours pour tenter une nouvelle AMP. Au total, si elles font trois enfants, le processus aura coûté au minimum 3 000 euros.
L’analyse de Caroline Mécary : Les magistrats tendent à tenir compte de l’évolution de la société. En 2001, la Cour de cassation avait reconnu le statut de mère pour un couple lesbien, mais elle a ensuite fermé la porte. Depuis 2007, trois arrêts sont venus refuser la reconnaissance de la filiation par une autre femme.
Cerise Sudry-Le Dû