Le monde entier a retenu son souffle quand les deux leaders se sont rencontrés à Singapour mardi 12 juin, après une période d’incertitudes quant au maintien même du sommet. Contre toute attente, de multiples poignées de main et autre marques de proximité étaient de mise. La seule ombre au tableau : aucune date n’a été fixée concernant la dénucléarisation nord-coréenne.
« Un spectacle« , c’est le premier mot qui vient à l’esprit du correspondant du New York Times Steven Erlanger pour qualifier la rencontre inédite entre Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour ce mardi 12 juin. Pierre-Olivier François, documentariste et spécialiste de la Corée, souligne que ce sommet « historique » était « visuellement très réussi : Kim Jong-un a réussi à être vu à un niveau égal avec la première puissance mondiale. Même les drapeaux des deux Etats étaient alignés. C’est du jamais vu« .
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Un sommet historique
Seule une quarantaine de minutes du face-à-face s’est déroulée loin des regards. En huis clos, Donald Trump et son homologue nord-coréen – si on s’en tient au lapsus d’une présentatrice de Fox News en référence à « cette rencontre entre deux dictateurs » – se sont entretenus avec pour uniques témoins leur interprète respectif. Par la suite, les principaux intéressés ont embrayé sur une seconde réunion en plus grand comité et sur un déjeuner de travail. L’occasion pour Donald Trump, entre de nombreuses poignées de main dont les clichés ont fait le tour du globe, de complimenter Kim Jong-un sur les « superbes plages » de son pays, sur lesquelles le chef d’État américain imagine très bien un « super hôtel« . « Trump adore le doré. C’est ça, sa notion de paix : construire des hôtels chez l’autre« , ironise Pierre-Olivier François.
Concernant la paix entre les deux nations, la Maison Blanche a tourné un court métrage hollywoodien pour vanter les mérites que celle-ci pourrait apporter à Pyongyang, dans lequel un pot-pourri d’images d’enfants souriants, de matchs de basket, d’armement américain et autres gratte-ciel sont au rendez-vous. « Donald Trump aime la télévision, c’est une star de la télé-réalité avant tout. Il pense beaucoup au visuel, à ce qui passe bien à la caméra. Les caméras l’intéressent d’ailleurs plus que le contenu« , toujurs selon Steven Erlanger, du New York Times. Et de conclure : « Kim Jong-un n’a vraiment pas beaucoup voyagé dans sa vie, et Donald Trump le sait, il a bien orchestré ce qu’il voulait lui montrer pour le fasciner« .
Des preuves de confiance à répétition
« Il ne faut tout de même pas oublier qu’on est face à deux pays qui ont nourri une méfiance l’un pour l’autre pendant six décennies« , rappelle le spécialiste de la Corée Pierre-Olivier François. Ce qui explique « toute la symbolique » qui s’attache aux « marques de confiance » à répétition lors de ce face-à-face : « Donald Trump est en train de faire le pari que Kim Jong-un va respecter ses engagements […] il veut montrer qu’il a foi en Kim Jong-un« , affirme Steven Erlanger. « Là où tout était totalement bloqué là où il y avait une méfiance absolue, on établit un début de rapport de confiance, ce qui explique les courbettes : la com’ fait partie du jeu. Le côté ‘marchand de voiture’ de Trump marche bien ici« , renchérit le documentariste Pierre-Olivier François, pour qui les enjeux « sont grands et bien réels« .
We save a fortune by not doing war games, as long as we are negotiating in good faith – which both sides are!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) June 13, 2018
« Nous économisons une fortune en arrêtant les jeux de guerres, tant que chacun négocie avec bonne foi – ce qui est le cas des deux côtés ! »
Mais alors, au cours de cette rencontre très médiatisée, les Etats-Unis ont-ils réussi à faire accepter la dénucléarisation « complète, vérifiable et irréversible » qu’ils exigent de la Corée du Nord ? Et Kim Jong-un a-t-il pu convaincre Trump de lever à court terme des sanctions économiques et engager une normalisation du pays au sein de la communauté internationale ? « Rien n’est vraiment sûr, et tout est vague« , regrette Steven Erlanger.
Ce n’est que le début du processus
De manière complètement inattendue, le locataire de la Maison Blanche a par ailleurs annoncé suspendre les exercices militaires conjoints – qui se transforment dans sa bouche en « jeux de guerre » – des États-Unis et de la Corée du Sud. « Donald Trump prend un risque en décidant cette suspension, puisque Kim Jong-un n’a rien donné en échange« , tance Steven Erlanger. « Il faut des concessions, sans concession on ne fait pas de traité de paix. Son annonce peut être d’ailleurs rétractée : il n’a pas vendu les bijoux de la reine« , nuance Pierre-Olivier François, qui rappelle que la Corée du Nord a toutefois déjà « libéré les trois prisonniers américains à Pyongyang, fait exploser un de ses sites de tests nucléaires et suspendu tout essai nucléaire et de tir de missile depuis six mois« .
Le point culminant de cette rencontre : les signatures de Donald Trump et Kim Jong-un ont été apposées côte à côte sur une déclaration commune. Ce texte réaffirme entre autres l’engagement de Kim Jong-un en faveur d’une dénucléarisation complète « dans sa totalité » et « très rapidement » de la péninsule coréenne et comprend des garanties de sécurité dont fait partie la fin des exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud.
Le document ne dispose toutefois d’aucun calendrier et d’aucun délai pour la mise en oeuvre des engagements pris. Pour Pierre-Olivier François, « c’est normal, puisque c’est seulement une note d’intention, et c’est déjà étonnant d’y être parvenu en si peu de temps : ni Pyongyang ni Washington ne sont d’accord sur les termes et les enjeux exacts, alors il faut rester vague pour pouvoir s’approcher l’un de l’autre. C’est le début d’un processus plutôt que la fin ». Et Steven Erlanger d’ajouter : « Ce texte est important puisque la situation est dangereuse, instable […]. Ce sommet a changé l’atmosphère entre les deux pays. La communication est établie entre eux. Kim Jong-un a une opportunité à saisir, celle de tourner son pays vers d’autres horizons ».
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