L’assassinat de l’ancienne élue UMP Marie-Jeanne Bozzi témoigne d’une évolution dans les règlements de comptes entre truands : nul n’est épargné.
Guerre en Corse. Cinquième année. Toujours aussi sanglante. Depuis 2006, les cadavres s’accumulent. Près d’une cinquantaine selon les décomptes des services de police, qui ont bien du mal à enrayer la vague. Et la violence a franchi un nouveau cap le 21 avril, avec l’assassinat de Marie-Jeanne Bozzi sur ses propres terres.
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Vers 16 h 10 ce Jeudi saint, l’ancienne maire UMP de Grosseto Prugna-Porticcio descend de son véhicule, garé sur le parking du centre commercial de la commune. Deux hommes en scooter, casqués, débarquent et tirent. En plein jour, sous le soleil. Huit impacts de balles de 9 mm : une exécution. Et un émoi immédiat. « La prochaine étape ça va être quoi ? Les enfants ? », s’énerve l’avocat de Mme Bozzi, Dominique Mattei.
« Ils s’en prennent désormais aux femmes. Les tabous de la société corse sautent peu à peu », renchérit un enquêteur de la PJ de l’île de Beauté.
Dans la litanie des règlements de comptes qui se sont tenus en Corse, les anciens n’avaient certes pas été épargnés en cinq ans. Ni les élus. En 2006, Robert Féliciaggi, maire UMP de Pila-Canale, aussi proche de Charles Pasqua que du parrain de Corse-du-Sud Jean-Jé Colonna (tué quelques mois plus tard), avait été victime d’un tireur embusqué. Le signal du début de la guerre, selon les spécialistes.
La nuit électorale du 20 au 21 mars 2011 a aussi vu tomber Dominique Domarchi. Le conseiller de Paul Giaccobbi, président de la collectivité territoriale de Corse, rentrait chez lui, à Sant’ Andrea-di-Cotone, commune dont il était maire depuis vingtsept ans. Un bail qui ne l’a pas empêché d’être abattu sur le seuil de sa maison. L’émoi n’est toujours pas retombé.
Jamais une femme politique n’avait été touchée. Surtout elle. « Une femme de poigne, de caractère, presque l’incarnation de la femme corse, poursuit Me Dominique Mattei. C’était une élue très respectée, attachée aux traditions, courageuse. Un résumé des qualités insulaires. » Et de ses méandres familiaux. L’ancien édile de Porticcio avait laissé son écharpe à sa fille Valérie en 2008. La faute à des condamnations. « Soustraction au paiement de l’impôt, omission de déclaration et fraude fiscale », déclare en 2007 la cour d’appel de Bastia, peine qui, devenue définitive, la rend inéligible.
L’enquête sur ses revenus faisait suite à une autre affaire plus gênante. En 2002, son époux est convaincu de proxénétisme et de dissimulation de travail clandestin, Marie-Jeanne Bozzi de complicité. Des hôtesses trop câlines étaient liées aux boîtes de nuit qu’ils géraient, le Pussy-Cat et le César. Un vaste coup de filet avait alors éteint le milieu de la nuit d’Ajaccio à Porticcio.
« Elle n’était pas en première ligne dans ces dossiers, précise son avocat, ni dans les règlements de comptes. »
« Sa famille si. Marie-Jeanne Bozzi est née Michelosi. Ange-Marie Michelosi, son frère, a été tué au volant de sa voiture à l’été 2008. Jean-Toussaint, son deuxième frère, est incarcéré depuis septembre 2008. La fratrie possède Le Petit Bar, un établissement d’Ajaccio qui a donné son nom à l’une des bandes actives dans le Milieu. Les Michelosi sont soupçonnés d’être les parrains de cette jeune équipe, dont une bonne part garnit les prisons du continent. Qui pour trafic de stups, qui pour extorsion, qui pour association de malfaiteurs en vue de commettre un homicide…
En janvier dernier, Le Petit Bar et Jean-Toussaint Michelosi sont condamnés pour avoir voulu organiser une vendetta, avec l’objectif de venger l’assassinat de Ange-Marie Michelosi. Les réunions de préparation ont eu lieu au domicile même de Marie-Jeanne Bozzi, des armes découvertes chez elle, une voiture de location utilisée pour faire des repérages louée par ses soins. Arrêtée, mise en examen au cours de l’enquête, l’ancienne élue assure en garde à vue que la « mauvaise réputation du Petit Bar est montée, alimentée de toutes pièces par des journalistes et la rumeur publique ».
De même, elle niera avoir voulu venger la mort de son frère. Et ne sera pas renvoyée devant la cour. Non-lieu. « Difficile d’imaginer qu’elle n’était pas au courant du projet criminel, écrit le vice-procureur Sylvie Odier dans son réquisitoire de non-lieu du 10 novembre 2010. Mais le seul fait d’affirmer qu’elle ne pouvait ignorer ce qui se tramait ne saurait constituer des charges permettant un renvoi en correctionnelle. » Pas vu, pas pris.
Cible présumée de ce « commando Michelosi », un temps partie civile du procès avant de se rétracter, Alain Orsoni a immédiatement réagi à la mort de Mme Bozzi. En condamnant l’assassinat de l’élue. Et en s’inscrivant en faux contre les bruits qui font de cet ancien leader nationaliste l’un des acteurs de la guerre du Milieu. De fait, selon les rapports de police, « l’antagonisme entre les familles Orsoni et Michelosi était ancien, et remontait à l’époque Jean-Jé Colonna qu’Alain Orsoni avait osé défier sous ses fenêtres ».
Une alliance entre Michelosi et Le Petit Bar a pu se nouer. Placé sur écoute, un proche de la famille a même avancé une théorie : « Le Petit Bar voulait éliminer Alain Orsoni compte tenu des ambitions qui lui étaient prêtées sur la ville d’Ajaccio, depuis son retour d’Amérique centrale. »
« Il y en a marre de ces racontars, tonne Me Sollacaro, avocat d’Alain Orsoni. Et le désigner ainsi fait de lui une cible. »
De retour en Corse depuis 2006, Alain Orsoni circule en voiture blindée. A l’instar de Marie-Jeanne Bozzi. Quoique « ne se sentant pas menacée », dixit ses proches, l’ancienne élue avait commandé un véhicule blindé qui lui a été livré le 15 septembre 2009. Sans effet.
« Elle avait un peu un profil à la Mafiosa. Sans le physique de l’héroïne de la série de Canal+, mais avec quelques histoires vraies », sourit un ancien de la PJ d’Ajaccio.
Avant de reprendre, plus inquiet : « Sa mort est un grave signal. La guerre part dans tous les sens. Personne n’est épargné et on a l’impression que le coup peut venir de n’importe où. Pour une vendetta, une question de territoire ou de petits malins qui veulent profiter du désordre actuel du Milieu. »
Perdus dans ce macabre labyrinthe, les services de police peinent à enrayer l’empilement des morts. Les dossiers sur le bureau de la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille s’accumulent. L’enquête sur le meurtre de Marie-Jeanne Bozzi lui a été transféré et le juge Thierry Azéma saisi.
« Il faut faire attention, prévient un membre du parquet. Les arrestations doivent être très ciblées. Sinon elles font monter la pression, laissent croire que certains balancent des noms aux flics. » Avec pour corollaire d’entretenir le cycle meurtrier sur l’île de Beauté.
Xavier Monnier
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