[Spécial vélo] Il y a autant de cyclistes à Copenhague que dans tous les Etats-Unis. La capitale danoise a su à travers les décennies organiser son espace et multiplier les incitations pour que le vélo soit au cœur de la vie de ses habitants. Une réussite reconnue mondialement. Et copiée de plus en plus.
Lorsque l’on arrive depuis l’aéroport à la gare de Nørreport, dans le centre-ville de Copenhague, on comprend tout de suite pourquoi la capitale danoise a été élue première ville-vélo du monde. Ils sont partout : sur les larges pistes cyclables qui encadrent les avenues, sur le parking géant réservé aux deux-roues ou posés nonchalamment sur les trottoirs… Et à défaut du bruit atroce des klaxons, résonne dans l’air celui bien plus doux des sonnettes.
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Avec plus de 1 000 kilomètres de routes dédiées, et des infrastructures à la pointe, ici le cycliste est roi. Ils sont 360 000 Copenhagois (62 % de la population) à enfourcher chaque jour leur vélo pour se rendre au travail ou à l’école, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente. C’est autant que dans l’ensemble des Etats-Unis. A contrario, les voitures sont taxées à 180 % et les automobilistes sont clairement en minorité (9 %).
La première piste cyclable en 1912
La clé du succès ? “Les infrastructures, les infrastructures et les infrastructures”, nous répond du tac au tac Morten Kabell, ancien adjoint au maire de Copenhague (2014-2017), aujourd’hui directeur des opérations de Copenhagenize, une entreprise-conseil pour les villes du monde entier qui souhaitent développer leur réseau cycliste. “Quand vous développez les infrastructures et les plans de la ville, c’est là que vous décidez des comportements des citoyens.” Moins cher, plus rapide que les transports publics ou la voiture, et bon pour la santé… Dans le même temps, les politiques ont tout fait pour décourager les habitants de prendre leur voiture.
Au contraire de ses pays voisins comme la France ou l’Allemagne, le Danemark n’a jamais eu d’industrie automobile, alors le vélo a toujours été plus ou moins présent. Copenhague voit sa première piste cyclable séparée de la route apparaître en 1912. Puis, avec les innovations américaines des années 1950, tout s’effondre. Le vélo commence à disparaître de la capitale, laissant place aux grosses cylindrées européennes.
Ponts, autoroutes, caves à vélo, des pistes élargies à deux voies, mais aussi des lumières vertes au sol pour indiquer au cycliste qu’il est à la bonne vitesse pour se synchroniser avec le feu vert…
Mais arrivent bientôt les années 1970 et la crise du pétrole qui frappe de plein fouet le pays, pauvre en ressources naturelles. Les familles n’arrivent plus à se chauffer, et encore moins à mettre de l’essence dans leur voiture. Les habitants commencent alors à descendre dans les rues, vélos à la main, pour protester contre le manque d’infrastructures sécurisées pour les cyclistes. Les pistes cyclables, supprimées pour faire place aux voitures, réapparaissent alors.
Second virage en 2005, quand le réseau cyclable bénéficie d’importants investissements. Ponts, autoroutes, caves à vélo, des pistes élargies à deux voies, mais aussi des lumières vertes au sol pour indiquer au cycliste qu’il est à la bonne vitesse pour se synchroniser avec le feu vert… Le tout dans un design danois moderne et élégant. Près de 40 millions d’euros ont ainsi été investis dans le vélo ces dix dernières années.
Le vélo, un mode de vie
Un projet porté par Klaus Bondam, ancien adjoint au maire de l’époque, qui est aujourd’hui à la tête de l’ambassade danoise du vélo. Lorsqu’on le rencontre dans son bureau, sa tête nous est familière. “J’ai joué dans le film Festen (de Thomas Vinterberg, 1998 – ndlr)”, dit-il fièrement. “Il faut pouvoir choisir en toute liberté son moyen de transport, martèle-t-il plus sérieusement derrière ses petites lunettes. Dans toutes les autres villes européennes, 50 % des déplacements de moins de 5 kilomètres se font en voiture. Ce sont ces trajets que nous devions transformer.”
C’est un succès. Nørrebrogade, la rue qui relie le centre de Copenhague au quartier populaire de Nørrebro, devient la plus empruntée de la capitale, et les voitures y sont bannies dès 2009. La ville en ressort transformée. A l’heure de pointe, toutes les deux minutes, c’est un cortège impressionnant de vélos qui défile. Sur le pont de la Reine-Louise, qui permet d’accéder à Nørrebrogade, nombreux sont ceux qui s’arrêtent pour prendre un bain de soleil en dégustant un café. Techno pleine balle dans les sonos et Carlsberg dans la main… Le soir venu, le pont devient un lieu de rencontre. Normal, les voitures sont inexistantes, l’air est agréable, et l’ambiance est détendue.
Quelques coups de pédales plus loin en direction du sud, on retrouve le charismatique fondateur de Copenhagenize, Mikael Colville-Andersen, qui insère le mot “fucking” dans quasiment toutes ses phrases. Alors qu’on s’étonne de la vitesse rapide à laquelle vont les gens, il nous répond : “Pour nous, le vélo n’est pas une culture. C’est un mode de vie, et surtout, un moyen de transport.” Exit la balade tranquille, les Copenhagois sont là pour se rendre d’un point A à un point B. Et c’est justement parce que c’est le moyen de transport le plus rapide qu’ils continuent de l’utiliser en nombre, comme le révèle une étude biannuelle réalisée par la Mairie.
Un classement international des villes bicycle friendly
Mikael Colville-Andersen a créé le Copenhagenize Index, qui classe les villes les plus bicycle friendly au monde. Inutile de dire que Copenhague est en tête depuis plusieurs années. “Le classement suscite beaucoup de réactions. A la fois les maires se sentent critiqués, et en même temps ça les challenge. Nous avons créé une sorte de compétition. C’est très dur de battre Amsterdam ou Copenhague, mais toutes les autres places sont à prendre”, explique-t-il. Un index influent au point qu’Alain Juppé lui-même aurait écrit une petite lettre à l’entreprise avant l’annonce des derniers résultats, histoire de rappeler tout ce que la ville de Bordeaux a développé pour les cyclistes ces dernières années.
Très présent sur les réseaux sociaux, Mikael a aussi pris pour habitude de compiler tous les trucs les plus fous que peuvent faire les Copenhagois sur leur vélo. Boire son café, transporter un frigo, un kayak… Croyez-le ou non, nous avons croisé un homme en train de se brosser les dents tout en pédalant. Plus sobrement, les célèbres cargo-bikes (vélos-cargos in french) sont largement utilisés ici pour déposer les enfants à l’école. Ces triporteurs qui comportent une sorte de grosse caisse devant sont aussi l’emblème de la ville. Enfin, surtout du quartier de Christiania.
“Christiania se voulait être un espace sans voiture, alors les gens avaient besoin de pouvoir transporter des choses, et puis, ils ont commencé à se dire que le vélo de Lars pouvait être une bonne solution”
Jonché sur les anciens remparts de la ville, à l’est de la capitale danoise et autoproclamée “ville libre” en 1971, le quartier de Christiania incarne la frange libertaire danoise. Avec ses graffitis aux couleurs psychédéliques et ses cafés aux tôles froissées, le coin abrite aussi bien d’anciens hippies que de jeunes Danois désirant fumer leur joint en toute tranquillité. Un jeudi matin, sous une brume maritime, après avoir dépassé les stands de marijuana et de résine de cannabis de “Pusher Street” (“la rue des dealers”), un bâtiment en brique grise attire notre attention. Avec une inscription noire brillante “Blacksmiths” (forgerons) et de magnifiques “Christiania bikes” dehors, c’est ici que sont fabriqués les fameux vélos.
Au même endroit où, en 1984, Lars Engstrom a construit le tout premier, en cadeau d’anniversaire à sa femme. “Christiania se voulait être un espace sans voiture, alors les gens avaient besoin de pouvoir transporter des choses, et puis, ils ont commencé à se dire que le vélo de Lars pouvait être une bonne solution”, raconte Risenga Manghezi, directeur de Christiania Smedie, l’atelier de fabrication de ces triporteurs. A l’époque, le jeune hippie se met à rêver que son Christiania bike envahirait un jour les rues de la capitale. A Copenhague en tout cas, le désir est devenu réalité.
“N’importe quelle ville peut faire ce que Copenhague a fait”
En dehors de la ville, ça coince encore. “Nous devons trouver des solutions pour que les habitants des banlieues arrêtent d’utiliser leur voiture et prennent davantage les transports en commun.” Problème : prendre son vélo dans les transports en commun coûte cher, et surtout “les trains sont tout le temps en retard ou annulés, c’est une catastrophe”, assène Marie. Cette Strasbourgeoise vit depuis sept ans à Elseneur, à 40 kilomètres au nord de Copenhague.
Si tout le monde ici aussi possède un vélo, elle et son mari prennent systématiquement leur voiture pour se rendre à leur travail. “Au moins, je suis sûre de pouvoir rentrer”, ajoute-t-elle quelque peu remontée. “Le transport est un domaine sur lequel les gens sont très sensibles dès que l’on essaie de changer les habitudes de mobilités, concède Klaus Bondam, de l’ambassade du vélo. Mais n’importe quelle ville peut faire ce que Copenhague a fait, il suffit juste de s’y mettre”, conclut-il. Anne Hidalgo et les quais de Seine like this.
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