Emprisonné au Texas en attendant son exécution programmée le 19 mars, Ray Jasper a écrit une lettre au site d’informations américain Gawker.
Ray Jasper a été condamné à la peine de mort pour avoir participé, en 1998, au cambriolage d’un studio d’enregistrement au cours duquel le propriétaire David Alejandro a été tué. Alors que son exécution est prévue pour le 19 mars, Ray Jasper a décidé d’écrire une lettre au site d’informations américain Gawker. Il y explique pourquoi le système judiciaire américain ne fonctionne plus, pourquoi la peine de mort doit être abolie, et revient longuement sur la notion d' »empathie ». On vous en a traduit les passages les plus intéressants.
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« L’Etat du Texas a décidé de me tuer le mois prochain, comme si j’étais une sorte de chien enragé. Mon objectif est d’utiliser cette condamnation comme une plateforme, car ceci pourrait être ma dernière déclaration sur terre.
Je pense que le mot “empathie” est l’un des plus puissants sur terre parmi ceux qui possèdent une signification dans toutes les cultures. C’est ce que je veux souligner. Je ne possède pas de dictionnaire donc je ne peux pas vous donner la définition de l’Oxford ou du Webster, mais pour moi, l’empathie consiste à se mettre à la place de l’autre. (…)
L’empathie nourrit le bon jugement. La compassion engendre la tristesse. Le mépris, l’arrogance. Aucun des deux ne débouchent sur de bons jugements car ils sont basés sur des émotions. C’est pourquoi deux personnes peuvent considérer une même situation et avoir deux points de vue totalement différents. Nous ne ressentons pas la même chose au sujet de plein de choses. L’empathie vous donne un regard interne. L’empathie ne vous fait pas dire “si c’était moi”, mais “c’est moi”.
L’empathie nous force à être honnête avec nous-même. L’honnêteté n’a pas d’objectif caché. Thoreau [écrivain américain du XIXe siècle] envisageait que “l’homme honnête” puisse régénérer moralement toute une société. (…)
Le système judiciaire ne fonctionne vraiment plus et ne peut plus être réparé et le plus triste c’est qu’il n’y a aucun moyen de repartir de zéro. Des améliorations peuvent être apportées. Si les gens honnêtes se relèvent, je pense qu’elles [les améliorations] pourront être apportées avec le temps. J’ai conscience que l’Américain moyen ne prête pas attention à toutes les lois qui sont passées en permanence par la législation fédérale et les législations des Etats. Les gens se concentrent sur leur boulot, l’éducation de leurs enfants, la recherche de divertissement sur leur temps libre. Le truc, c’est que des lois sont en train d’être changées.
Un jour, un homme a dit que la révolution survient lorsque les gens sont informés de leurs droits. Martin Luther King a expliqué que la révolution résulte d’une combinaison de l’action sociale et de l’action juridique. Je ne présente aucun point de vue radicalement révolutionnaire, le terme révolution signifie seulement le changement. L’Amérique change au rythme de la modification de ses lois.
Selon le 13e amendement de la Constitution des Etats-Unis [qui a aboli et interdit l’esclavage aux Etats-Unis], tous les prisonniers américains sont considérés comme des esclaves. On regarde l’esclavage comme quelque chose appartenant au passé mais vous pouvez aller dans n’importe quel pénitencier de cette nation et vous y verrez de l’esclavage. C’était l’objet des protestations des prisonniers en Géorgie en 2010. Ils disaient qu’ils en avaient marre d’être traités comme des esclaves. Les gens devraient savoir que lorsqu’ils sont jurés et qu’ils condamnent quelqu’un à une peine de prison, ils le condamnent à l’esclavage. (…)
Je pense que les peines de prison sont devenues incontrôlables. Les gens sont condamnés à de lourdes peines pour des crimes non violents. Je connais un mec de 24 ans qui a été condamné à 160 ans de prison pour deux vols au cours desquels moins de 500 dollars ont été volés et aucune forme de violence exercée. Il y a des types qui traînent avec 200 ans de prison et qui n’ont même pas 30 ans. C’est scandaleux. Donner à quelqu’un qui n’a jamais été condamné auparavant une sentence plus longue que la durée de sa vie est de la pure oppression. Plein de jeunes ont été gaspillés dans cette génération.
Le revers de la médaille, c’est qu’il y a tout un monde entrepreneurial qui se fait de l’argent sur le dos des prisonniers. Plus les prisonniers restent en prison, plus d’argent ils se font. On ne parle pas de crime et de châtiment mais de crime et de profit. Les prisons représentent une industrie d’un milliard de dollars. En 1996, il y avait 122 prisons aux Etats-Unis. Des entreprises montaient des expositions dans de petites villes pour démontrer que l’ouverture de nouvelles prisons pouvait booster l’économie en créant de nouveaux emplois.
Comment ceux qui investissent dans les prisons peuvent se faire de l’argent si les prisonniers sont condamnés à des peines qui leur permettent à un moment de retourner dans la société libre ? Si les gens étaient réhabilités et renvoyés dans les villes, qui travaillerait pour ces entreprises ? ça serait un mauvais investissement. Afin de leur permettre de se faire de l’argent, les condamnés doivent rester en prison à travailler. La stratégie politique consiste donc à dire que la justice sera implacable et à donner aux accusés de longues peines de prison. (…)
Je suis contre la peine de mort. C’est une pratique typique d’une ancienne mentalité de lynchage propre au Sud. Quasiment toutes les exécutions ont lieu dans le Sud avec quelques exceptions ici et là. Le Texas est le premier en la matière. Je ne viens pas du Texas. J’ai été élevé en Californie. Etre originaire de la Côte Ouest et se retrouver dans le Sud, c’est comme faire un voyage dans le passé. Je ne pensais même pas que les vrais cow-boys existaient. Le Texas est un Etat très “rural”, mis à part quelques grandes villes. Il existe toujours de petites villes où les Noirs ne seraient pas les bienvenus. La Californie est davantage basée sur le melting pot. J’ai grandi dans la Baie [de San Francisco – ndlr] qui est très diversifiée.
La peine de mort doit être abolie. La vie sans liberté conditionnelle, c’est toujours la peine de mort. La seule différence, c’est le temps. Dire que vous avez besoin de tuer une personne dans un court laps de temps revient à chercher à se venger de cette personne. (…)
La peine capitale s’applique lorsque vous avez pris la vie de quelqu’un et commis un autre crime en même temps. C’est la loi du Texas. (…) Le problème c’est que vous n’êtes pas condamné à la peine de mort pour meurtre, vous y êtes condamné pour votre autre crime, ça n’a aucun sens. Vous tuez un homme, vous ne serez pas exécuté… si vous tuez un homme et prenez l’argent dans son portefeuille, là vous serez condamné à la peine capitale.
Je suis dans le couloir de la mort et pourtant je n’ai pas commis de meurtre. J’ai été condamné selon la “loi des parties” [« Law of Parties » : cette loi propre au Texas dispose qu’une personne peut être tenue pour responsable des actions d’un tiers si elle a aidé, encouragé ou conspiré avec ce tiers – ndlr]. Quand les gens lisent le cas, ils partent du principe que j’ai tué la victime, mais les faits sont indiscutables, je n’ai pas tué la victime. Celui qui l’a tuée a plaidé coupable afin d’obtenir la prison à vie. Il l’a admis et n’a jamais nié depuis. Mais, selon la loi du Texas, peu importe si j’ai tué ou non la victime, je suis criminellement responsable pour la conduite d’un tiers. Mais j’ai été le seul à avoir été condamné à la peine de mort.
La loi des parties est une loi très controversée au Texas. La plupart des démocrates ont pris position contre. Elle permet à l’Etat d’exécuter quelqu’un qui n’a pas commis de meurtre . Il y a environ 50 mecs dans le couloir de la mort au Texas qui n’ont tué personne mais qui ont été condamnés en tant que “partie”.
Quand j’ai débarqué en prison à l’âge de 19 ans, je me suis dit : “Putain, je n’ai jamais vu autant de mecs noirs de toute ma vie”. J’avais l’impression d’être en Afrique. Je ne pouvais en croire mes yeux. Les paroles de 2Pac me sont revenues : “Le pénitencier est plein/Et il est rempli de Noirs.” (…)
Même si vous êtes coupable de meurtre au Texas, ça ne veut pas dire que vous receviez la peine de mort. Les gens y sont condamnés lorsqu’un jury estime qu’ils représentent une ‘menace continuelle pour la société’. Ils sont jugés si mauvais qu’ils n’ont aucun espoir de rédemption ou de changement dans leur comportement. C’est la seule raison pour laquelle une personne est condamnée à la peine de mort. Elle est supposée être le pire du pire, si mauvaise qu’elle ne peut vivre en prison aux côtés des autres prisonniers.
Encore une fois (…), ceci est vu uniquement de mon point de vue. Un médecin ne peut pas regarder quelqu’un et détecter son cancer, il doit regarder sous la surface. (…) Un bon diagnostic constitue la moitié du remède.
Je suis père. Ma fille avait six semaines lorsque j’ai été emprisonné. Elle a aujourd’hui quinze ans et est au lycée. Malgré les circonstances, j’ai essayé d’être le meilleur père du monde. Je sais que son parcours est déterminé par ce que je lui apprends. Cela vaut pour tous les jeunes. Leur trajectoire est dessinée par ce que nous leur apprenons. Pour citer Aristote, “Toute amélioration dans la société commence par l’éducation des jeunes »
Sincèrement,
Ray L. Jasper
Ps : pardon d’avoir été si prolixe, mais je parlais avec mon cœur. Merci de m’avoir donné cette occasion »
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