Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, le photographe suisse Niels Ackermann veut briser les clichés. Son livre-photo L’Ange blanc montre qu’à la lisière de la centrale, les jeunes continuent à vivre et rencontrent bien d’autres problèmes que la radioactivité. Le 26 avril 1986, le coeur d’un réacteur de la centrale de Tchernobyl explosait. C’est […]
Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, le photographe suisse Niels Ackermann veut briser les clichés. Son livre-photo L’Ange blanc montre qu’à la lisière de la centrale, les jeunes continuent à vivre et rencontrent bien d’autres problèmes que la radioactivité.
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Le 26 avril 1986, le coeur d’un réacteur de la centrale de Tchernobyl explosait. C’est la pire catastrophe nucléaire que l’humanité ait connue. Cependant, alors que le monde s’apprête à commémorer les trente ans, le photographe Niels Ackermann a décidé de tourner son objectif vers l’avenir : « On ne peut plus montrer de photos de la catastrophe. Le monde entier les a vues et a compris. Il faut passer à autre chose. » Il s’est donc immergé dans la ville la plus jeune d’Ukraine, Slavoutytch : cité construite par les autorités soviétiques, immédiatement après l’accident, afin de loger les ouvriers chargés d’en liquider les traces. De 2012 à 2015, Niels a suivi Ioulia et ses amis qui « boivent, baisent, se droguent et s’ennuient », peut-on lire dans son livre-photo L’Ange blanc, sous la plume sombre mais passionnante de Gaetan Vannay. Des jeunes qui tentent d’avancer malgré les difficultés d’un pays en crise et le lourd héritage qu’est Tchernobyl. Entretien.
Une citation choque dans votre livre : « Ici, plus de gens meurent à cause des effets de l’alcool et de la drogue qu’à cause de la radioactivité » ?
Niels Ackermann. C’est une phrase choc journalistique. On va le voir dans les semaines à venir. Dès lors que Tchernobyl est abordé, les mêmes raccourcis, alimentés par nos prédécesseurs, sont activés : radioactivité=cancer= enfant avec des têtes géantes, etc. Le problème que je constate est que les médias ont moins de ressources. Donc quand le journaliste part en reportage à Tchernobyl, il doit aller vers ce qui amènera du succès. D’où ces raccourcis.
Moi, j’ai eu la chance d’avoir du temps. J’ai pu découvrir d’autres réalités, des problèmes plus simples, plus proches, qui menacent beaucoup plus que la radioactivité.
Comme l’alcool et la drogue…
Cette phrase a été prononcée par Kiril, 25 ans. C’était au cimetière, il me montrait la tombe de son meilleur ami et de plusieurs de ses camarades de classe morts à cause de l’alcool. Sa remarque n’est pas une analyse scientifique mais elle est pleine de bon sens. L’alcool est une problématique saillante à Slavoutytch. Les gens travaillent deux semaines à la centrale, puis ont deux semaines de congé, en raison d’un taux de radioactivité qu’ils ne doivent pas dépasser. Pour tuer le temps, dans une ville isolée, avec des activités culturelles restreintes, l’alcool, peu chère, est la solution facile. Mais les conséquences sont désastreuses.
La radioactivité a toutefois fait des victimes ?
Oui, au cimetière, on voit des tombes de personnes décédées très jeunes, à cause du cancer, ou de maladies plus anodines comme la grippe, car la radioactivité affecte également le système immunitaire. Mais, aujourd’hui, il n’y a pas tant de problèmes de santé que ça. Ils gèrent les risques de la radioactivité avec des moyens plus sérieux qu’on ne l’imagine.
La sexualité est souvent suggérée dans vos photos. Vous citez également une expression ukrainienne : « A Slavoutytch, personne ne dort dans un seul lit ».
Pour la comprendre, il faut se référer au « fuck chart », un graphique présent dans le livre qui relie les noms entre eux, selon qui couche avec qui. J’ai eu l’idée de le faire en voyant Kiril embrasser une fille. Je lui demande : « C’est ta copine ? ». Il me dit : « Non non. Tu sais bien que ma copine c’est Nadia, elle c’est la copine de Dima. » Pour m’expliquer, il commence à faire des schémas avec des liens touffus et étendus.
Il y un côté très urbain dans ce rapport ouvert à la sexualité. Mais Slavoutytch est entouré de petits villages où tout le monde se connaît. Ce qui crée un choc des cultures. Les habitants de la campagne s’imaginent Slavoutytch comme une espèce de cité du vice.
De mon côté, il n’y a aucune volonté de juger : ces expérimentations sont caractéristiques du passage de l’adolescence à l’âge adulte. On les trouve dans n’importe quelle société. Slavoutytch est une ville comme les autres.
Vous souhaitiez aborder autre chose que Tchernobyl, mais la centrale est bien présente dans vos images…
Aujourd’hui, la centrale fait travailler 3000 habitants de Slavoutytch. Elle est une espèce de trou noir. Elle offre des métiers bien payés et une sécurité de l’emploi. De fait, les jeunes qui ont appris à être journaliste, ingénieur ou autre mettent de côté leurs ambitions pour devenir soudeur, conducteur de camion ou comptable au sein du projet Novarka (projet de construction de l’arche qui servira à rendre hermétique le réacteur qui a explosé).
Ils sont fiers de participer à une des plus grosses aventures du pays. Cette arche est un truc énorme. Mais elle happe des gens qui avaient des profils très différents. Ils se retrouvent à faire des tâches plus basiques. Je peux les comprendre, la situation économique du pays est très dure. Ils peinent à trouver du travail dans d’autres villes.
Mais l’avenir dans cette centrale n’est pas pas assurée…
En 2017, l’arche sera glissée sur le réacteur. Des grues opéreront sous ce sarcophage pour démonter le réacteur 4 et nettoyer la zone. L’opération devrait durer 100 ans. Il y aura du travail pour quelques personnes mais pas pour les 3000 qui y participent actuellement. Tout le monde en est conscient, mais peu de gens anticipent, ne cherchent de travail ailleurs. C’est propre à l’esprit slave de ne pas tirer de plans sur la comète. Là encore, je peux les comprendre. En Ukraine, tellement de choses changent du jour au lendemain. On l’a vu avec les deux révolutions (2004 et 2014), puis il y a eu cet événement inattendu qu’est la guerre avec la Russie.
Les autorités essayent-elles d’agir ?
La ville essaye de développer d’autres projets, comme un institut de recherche sur le nucléaire, ou encore 86, le festival international du film et de l’urbanisme. Ces projets donnent un nouveau souffle. Mais selon moi, et c’est ce que j’avais présumé dès le départ, cette situation montre qu’une ville ne peut être implantée n’importe où. S’il n’y avait pas de ville à cet endroit, Slavoutytch a été bâtie sur une forêt, il y avait bien une raison. On ne peut pas y imposer une activité économique parce qu’elle est trop loin des grands pôles urbains.
Au début de l’ouvrage, les clichés présentent des scènes de liesse, de fêtes, puis elles s’assombrissent…
On a tenté de construire un récit à partir des trois ans passés avec Iulia et ses amis. Au départ, c’était vraiment la fête, jour et nuit, que ce soit dans la ville ou dans les datchas. On était bourrés quasi en permanence. Pour moi, cette période représente l’adolescence qui est souvent une grande fête. Puis il y a ce passage à l’âge adulte. Les couples se stabilisent, travaillent. On abandonne certains rêves. Il y a le stress, des problèmes sérieux. D’autant que quand on a fait le reportage, il y a eu le mouvement Maïdan, pendant lequel le pays voyait la police tirer sur ses habitants, puis la guerre avec la Russie. Une période vraiment sombre pour des jeunes qui doivent penser à leur avenir.
La dernière photo, où l’on voit des jeunes marcher vers l’horizon, semble pourtant porteuse d’espoir ?
C’est l’idée qu’ils marchent vers un avenir que j’espère meilleur. Mon propos est de dire : laissons une chance à la jeunesse, ne les accusons pas d’échec avant qu’ils aient essayé de réparer les erreurs de leurs aînés.
« L’Ange blanc. Les enfants de Tchernobyl ont grandi », de Niels Ackermann, lauréat du prix Swiss Press Photo 2016. Les Editions Noir sur blanc.
Crédit photos : Niels Ackermann/Lundi13.
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